« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Entendre ce bruit me faisait presque mal


 

 

… / …

     Vrieslander était encore en train de travailler à sculpter la tête, et le bois crissait sous la lame.

     Entendre ce bruit me faisait presque mal, et e le regardai comme pour lui demander si ça allait durer encore longtemps.

     À voir la tête tourner et retourner dans la main du peintre on aurait dit qu'elle était douée de conscience et inspectait tous les coins et recoins de la pièce. Puis ses yeux finirent par s'arrêter longuement sur moi, satisfaits de m'avoir enfin trouvé.

     Moi non plus je n'arrivais pas à détourner mes regards et je fixais continûment le visage de bois.

     L'espace d'un instant le couteau du peintre sembla chercher quelque chose en hésitant, puis il entailla résolument une ligne dans le bois, et les traits de la figurine soudain animés d'une vie effrayante.

     Je reconnus le teint jaune et le visage de l'inconnu qui m'avait apporté le livre autrefois.

     Après quoi je e parvins plus à rien distinguer ; la vision n'avait duré qu'une seconde, je sentis mon cœur qui cessait de battre, en proie à des contractions angoissées.

     Et cependant — comme jadis — je gardai la conscience du visage.

     Et j'étais devenu moi-même ce visage, et j'étais là dans les bras de Vrieslander en train de regarder tout autour de moi.

     Mes yeux naviguaient à travers la pièce et une main étrangère faisait bouger ma tête.

     Je vs alors tout à coup l'air effaré de Zwakh et l'entendis me dire : « Mon Dieu, mas c'est le Golem ! »

     Il s'ensuivit une lutte brève, les autres voulaient arracher la tête la tête sculptée des mains de Vrieslander Celui-ci se défendait et s'écria en riant :

     « Qu'est-ce que vous me voulez, il est complètement raté ! » Il se dégagea, ouvrit la fenêtre et lança la tête dans la rue en dessous.

     À cet instant précis je perdis conscience et plongeai dans de profondes ténèbre tendues de fils d'or scintillants. Quand je me réveillai au bout d'un temps extrêmement long, à ce qu'il me sembla, j'entendis seulement le bout de bois retentir sur le pavé.

 

… / …

Gustav Meyrink / Le Golem (extrait)
traduction Jean-Pierre Lefebvre