« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

MATIÈRE DE BRETAGNE


 

 

Lumières d'ajoncs, jaune, les pentes

bavent du pus vers le ciel, l'épine

courtise la blessure, des cloches

y sonnent, c'est le soir, le néant

roule ses mers pour la prière,

la voile sang met cap sur toi.

 

Sec, asséché

derrière toi le lit, envahie de roseaux

son heure, là-haut,

près de l'étoile, les rigoles

laiteuses de l'estran bavardent dans la vase, la datte de

      pierre

dessous, en touffe, bée dans la bleuité, un bouquet

      vivace

de mortalité, beau,

salue ta mémoire.

 

(Me connaissez-vous,

mains ? j'ai suivi

le chemin fourché que vous indiquiez, ma bouche

crachait son cailloutis, j'allais, mon temps,

corniche de neige errante, projetait son ombre — m'avez-

      vous connu ?)

 

Mains, la plaie cour-

tisée d'épine, les cloches sonnent,

mains, le néant, ses mers,

ùains, dans la lumière d'ajoncs, la

voile sang

met cap sur toi.

 

Toi,

tu apprends

tu apprends à tes mains

tu apprends à tes mains, leur apprends

tu apprends à tes mains

                                      à dormir.

Paul Celan / Choix de poèmes réunis par l'auteur
traduit de l'allemand par Jean-Pierre Lefebvre
Illustration : Paul Celan par Andrea Ventura