« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE LIÈVRE DE LA LUNE


 

 

Lièvre sexe fossile

Inclus dans le miroir

Qui renvoyait aux eaux la perle

À la femme le fou rêve de l'homme

Et la folie de la femme à la nuit

Tu descendras vers la terre peuplée

Par l'énorme vie où je suis contenu,

 

Lièvre dont les menus pieds gris

Dévidaient le songe de celle

Qui dort près de moi dans une chambre vaste

Où l'on n'accède qu'en passant un pont

Dit parfois de la Madeleine

Lièvre dont faisait le trot prudent

Battre son terrible cœur comme battent

Les ailes bleues de ses paupières

Tu vas quitter cet unique sein d'ambre

Au fond duquel un œil indien discerne

Ta silhouette de phalle impudique

Raidie en la primordiale gemme,

 

Tu bondiras après l'impact poudreux

Tandis que par le geste altier d'Oman

Sera consacré le viol catastrophique

De ce corps froid qui fut Diane elle-même

Puis sous l'espèce de parachuté priape

Tu descendras  les spirales du ciel

Pour t'asseoir à la gauche du roi du monde

Dans le cercle angélique et bestial,

 

Tu connaîtras l'iguane et la tortue

Dont la copulation balance l'univers

Depuis l'effroi des temps impénitents

Où l'homme était l'espoir de la mort peut-être,

 

Et par sodomie magistrale

Tu rompras le sceau des sépulcres grand lièvre.

 

(Venise, 23 juillet 1969)

André Pieyre de Mandiargues / L'Ivre Œil - sixième cahier de poésie