« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE POIDS DE LA NUIT


 

 

Cette nuit

repose sur a nuit

comme le toit

sur la rue

comme un enfant

dans le lit

Une nuit et puis l'autre

étonnée de n'avoir as commencé

de ne jamais finir

oubliée retrouvée

Cette nuit

et puis un jour

comme une île ensoleillée

comme un navire en détresse

coupé du rivage

où je t'appelle

où tu m'entends

Bientôt il n'y aura plus que nous

pour aimer

Debout sur le sommeil

comme sur un nuage

il n'y a plus que toi

affrontant de ton orgueil

l'avenir impossible

que ton cour promet

Ici ailleurs

au-delà de l'ombre

qui te harcèle

tes pas te suivent

Tu cris changer de route

Je t'ai toujours rencontrée

où tu m'as dis aller

où tu n'étas us sûre dêtre

Guettée engloutie

comme ue main

dans la main plus large

comme la pupille

dans l'œil

et pourtant

c'est toi le roc

face à l'aventure à l'engouement

Toi seule attires

et multiplies

Tu es l'ordre

des nuits dénombrée

Tu es la faim au premier siècle

Tu existes

pour le muscle de l'homme

pur son bras doit qui épanouit la terre

Tu plaides

pour que chaque chose réelle

venue de l'obscurité

rendue à l'obscurité

Je te connaissais

par tes pensées

pour elles séduisantes

pour le paysage exaltant que tu incarnes

je te connaissais

pour la rosée pour le grain de blé

pour la mer

Miracle d'un cors proportionné

gracieux et nu

Ici et beaucoup plus

ailleurs

où tu erres sans souvenirs

j'apprends aveugle

à te ressembler

Cette nuit

posée sur a nuit

comme une abeille sur la rose

comme l'onde

sur l'eau

Une nuit et puis l'autre

identique

recomposant le monde

à notre image

par ta seule volonté

d'être aimée

Edmond Jabès Le Seuil Le Sable - poésies complètes 1943-1988