« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

MUSIQUE


 

À Pierre Barbaud

     Il écrit une messe au piano en commençant par la main droite : une seule voix sur la portée pendant quatre cents pages. Au-dessous de celle-ci, une seconde voix dans un autre ton, sans se soucier de la première.

     Pour un parent qui barytonne et ne veut entendre parler que du ton de do dièse, il est amené à e écrire une troisième. Pus une quatrième pour la basse. Et comme il juge que l'œuvre n'est pas assez étoffée, il y ajoute des cloche, une petite fanfare. Cela ne le satisfait pas encore. Pour donner du rond, il double toutes les voix, fait entrer dans l'alléluia un jeu de bouteilles, des crécelle, des fouets, un petit mortier paragrêle chargé de gros plombs et dont le canon est dirigé sur des plaques de tôle. Il lui faut un chœur de jeunes filles, rythmé par le choc de lattes de bois, un groupe de scies électriques renforcé par des haut-parleurs.

     Quand tout est prêt, il fait jouer sa esse dans la cave de l'église par des musiciens à cheval que l'on a fait boire. L'ébranlement se communique aux voûtes Jusque devant le portail, où l'audition est atténuée pourtant, le sang gicle de l'oreille des fidèle. des personnes âgées s'effondrent, des poumons cèdent. Les vitraux se brisent, du toit les plâtres retombent sur les statuettes décapitées des saints et de la Vierge.

     On retrouva le prêtre évanoui sous un amas de verre, de poutres. Par moments il avait cru voir la terre s'entrouvrir. Dieu est content.

André Frédérique / Histoires blanches