« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Quand Dieu a fait le monde


 

 

     Quand Dieu a fait le monde, il en a donné une partie aux Blancs et l'autre aux Apaches. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Pourquoi Blancs et Apaches se sont-ils retrouvés sur la même terre ? En m'écoutant, le soleil, la lune, la terre, l'air, les cours d'eau, les oiseaux et les animaux sauvages, et jusqu'aux enfants qui ne sont pas encore nés, vont se réjouir de mes paroles. Les Blancs me cherchent depuis longtemps. Me voici ! Que veulent-ils Ils me cherchent depuis longtemps. Pourquoi ai-je tant de valeur ? Si j'ai tant de valeur, pourquoi ne pas marquer l'endroit où je pose mon pied, celui où je crache ? Les coyotes sortent la nuit pour voler et tuer ; je ne peux pas les voir ; je ne suis pas Dieu. Je ne suis plus le chef de tous les Apaches. Je ne suis plus riche ; je ne suis qu'un homme pauvre. Le monde n'était pas toujours ainsi. Dieu ne nous a pas faits semblables à vous ; nous sommes nés comme les animaux, dans l'herbe sèche, et non dans des lits, comme vous. C'est pourquoi, comme les animaux, nous volons et chapardons la nuit venue. Si j'avais les choses que tu as, je ne ferais pas ce que je fais car, dans ce cas, je n'en aurais pas besoin. Il y a des Indiens qui passent leur temps à tuer et à voler. Je ne suis pas leur chef. Si je l'étais, ils n'agiraient pas comme ils font. Mes guerriers ont été tués dans le Sonora. Je suis venu parce que Dieu me l'a dit. Il m'a dit qu'il était bon de vivre en paix — donc me voici ! J'errais de par le monde, avec les nuages et l'air, quand Dieu m'a parlé en pensée et m'a dit de venir faire la paix avec tous. Ila dit que le monde était pour nous tous ; comment est-ce possible ?

     Jeune, je parcourais ce pays à pied, d'est en ouest, sans rencontrer personne d'autre que des Apaches. Bien des étés plus tard, j'ai repris le même chemin et vu qu'une autre race d'hommes était venue s'emparer de cette terre. Comment cela est possible ? Pourquoi faut-il que les Apaches attendent la mort — qu'ils ne retiennent la vie que du bout des ongles ? ILs errent dans les collines et les plaines en priant que le ciel leur tombe dessus. Les Apaches formaient autrefois une grande nation ; ils ne sont plus à préset qu'une poignée, et c'est pour cette raison qu'ils veulent mourir et que leur vie pend au bout de leurs doigts. Beaucoup sont morts au combat. Parle-moi franchement, pour que tes paroles entrent dans nos cœurs comme les rayons du soleil. Dis-moi, si la Vierge Marie a traversé ce pays tout entier, pourquoi n'est-elle jamais entrée dans les huttes des Apaches, pourquoi ne l'avons-nous jamais vue, jamais entendue ?

     Je n'ai ni père, ni mère. Je suis seul au monde. Personne ne se soucie de Cochise. C'est pourquoi je ne me soucie pas de vivre, c'est pourquoi je voudrais que les pierres tombent sur moi et recouvrent mon corps. Si j'avais un père et une mère comme toi, je serais avec eux et eux avec moi. quand je parcourais le monde, tous demandaient à voir Cochise. Le voici — tu le vois, tu l'entends —, es-tu heureux maintenant ? Si tel est le cas, dis-le. Parlez, Américains et Mexicains, je ne souhaite rien vous cacher et je voudrais que vous ne me cachiez rien. Je ne mentirai pas, pas plus que vous ne me mentirez.

Cochise / extrait de discours publié par Historia Grand Angle
Cochise prononce ces mots devant le général Granger en septembre 1871, à Canada Alamosa, au Nouveau-Mexique. C'est un médecin militaire, le Dr Anderson Nelson Ellis, qui nota ses paroles. Ce texte est tiré d'«Enterre mon cœur à Wounded Knee. Une histoire américaine (1860-1890)», de Dee Brown, dans une traduction de Nathalie Cunnington (Albin Michel, 2009)