« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA NUIT


 

 

C'est toi que je chante, ravin sauvage,

Montagnes dressées

Dans la tempête de la nuit ;

Ô tours grises

Débordant de grimaces infernales,

De faune ardente,

De rêches fougères, de pins,

De fleurs cristallines.

Tourment infini

D'avoir traqué Dieu,

Doux esprit,

Poussant des soupirs dans la cataracte,

Dans le balancement des pins.

 

D'or embrasent les feux

Des peuples alentour.

Sur des écueils noirâtres

Se jette ivre de mort

La rougissante fiancée du vent,

La vague bleue

Du glacier

Et gronde

Puissamment la cloche dans la vallée :

Flammes, malédictions,

Et les sombres

Jeux de volupté,

À l'assaut du ciel

Une tête pétrifiée.

Georg Trackl / Poèmes publiés dans la revue Le Brenner (1914-1915)
Traduction de Marc Petit et Jean-Claude Schneider
Illustration : Portrait de Georg Trackl par Otto Pankok