ÎLES
Par domcorrieras, le jeudi 15 septembre 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
Alors toute île s'est enfuie,
se sont dissoutes les montagnes.
Notre île
nous l'avons bâtie
sous l'arrogance des vents.
Nous l'avons
rocher par rocher
dérobée au tumulte.
Dans ces failles, ces figures
patiemment nommées,
chaque jour remonte l'effroi.
Nos maisons
un peu de blanc
les désigne aux cailloux —
fraîcheur surprise
d'un bouillonnement occulte
au fond des carrières.
Rester là
silencieux, écoutant
pousser d'autres îles plus loin.
Le temps apprend sa leçon de choses
l'aride et le doux
dans les creux offerts de nos corps
nos pulpes encore chaudes
qui chercher le parfait de la chaux
tandis que nous blanchissons la sente du précipice.
Nous avons grandi entre la mer incrédule
et des murs anfractueux —
dans les creux, les bosses, les arêtes
qu'a laissé la main
— sur une vitre parfois —
la lumière fermente —
comme s'il y avait là
une âme à brûler.
Devant nous ces vents, ces ténèbres
qu'ouvre l'étrave
et tu lis et tu dis
et ne comprend pas.
Dans nos îles il y avait toujours un sentier,
le même peut-être, qui tourne entre les rochers.
Il ya toujours un tournant, le même peut-être,
qu'entre les bruns et les gris déboutonne une chose claire,
flamme blanche qui se dévêt —
le flanc doucement évasé
où tarde un désir inconnu.
Dedans : pénombre d'huile et d'encens
qui tient embrassé
un visage noirci par l'amour.
Nous avons fait confiance aux entrailles,
à l'obscure douleur de la terre.
Notre seule arme : cette chaux aveugle,
interlocuteur inexorable.
Plus tard, dans l'épaisseur nocturne,
le squelette igné d'un oursin.
Dévoilement — rougeur d'un alphabet.
Zéro heure quinze à Évanghelismos —
roide aux commandes de cette navigation,
l'abbesse reçoit les courbures du chant
la chair brûlée dans la voix
les griffes de la bête clouées en mer.
La grande peau tendue de nos iniquités —
sur les eaux plane l'incendie des herbes,
prairie de frissons, "échardes, bris de verre,
crépitement électrique du pelage amoureux
gerçant la douleur, ulcérant un baiser.
Entre les reins et les croupes de l'eau éboulée,
les sifflements d'Érinyes dessèchent nos âmes
squelettes d'étincelles que défait le vent
Ô mère, ô nuit ma mère qui m'enfantas !
La toux caverneuse du moteur à un temps
crachant aux brumes le noir des poumons —
… Quel chagrin m'entre au cœur,
quel chagrin ? Aya ! Nuit ma mère—
Ce port, un autre encore et un autre,
le même peut-être,
des poulpes cloués sur les murs —
des hommes accroupis aux marches du bleu
nouent et dénouent les vieux bruns de trame
d'un automne remonté des fonds boueux.
Le même soir, la même nuit, peut)-être,
vidés de songes et piqués au mât
tandis que migre d'est en ouest
la pègre des roses en guenilles.
La même aube, peut-être,
la gorge enflammée
et les rames plongent dans la chair,
blessant le feu sombre à la saignée des courbes.
Quelqu'un me dépense en clarté.
ses capillaires battent laborieux
au bout d'un vaste réseau de veines dans la pierre.
Quelqu'un d'une cruauté, d'une douceur inavouables
avait besoin de mes opacités.
Maintenir cette lisière modeste face à l'interminable
où puisse se briser le marbre, et la langue s'écorcher.
Nous offrons au large cette mer balisée de flammes,
ce bruit de cœurs et d'ossements —
un peu de bonheur dépecé sur les grèves
et le long cri rituel qui fend les corps
rédimant la nuit.
Il a suffi qu'un seul nerf s'enfonce dans le monde —
que bouge une main entre les tiges infinies
pour qu'une voix s'éprenne de ces lueurs fragiles.
Il a suffi d'une larme pour l'absence —
du bruit du temps dans les pores
pour allumer des feux près des pierres
où le passant reçut l'olive et le vin.
Le bonheur certes n'a pas suffi, ni ce chant.
Il a fallu tailler dans l'azote bleu-neige des nerfs
la douleur et son cri inesthétique —
la rumeur chaque jour annulée des racines.
Il y la mer, qui donc peut l'assécher ?
Tant de mains s'agitent sous nos paupières —
ici et là au gré des fonds tu vois
les strates futures où les eaux retirées
d'autres soleils te reconnaîtront.
Récifs de villages, épaves, gorgones,
la lueur des stars dans l'embrasure —
un très vieil homme translucide dans les pierres —
Il n'est point de remède à ma parole.
Le ciel, la mer :
une seule couleur —
nulle césure, nul froissement entre les corps.
Pourtant là-bas
au milieu qui dérive —
ce cri retenu
gouffre d'ailes qui nous aspire —
peut-être une barque
Il y a toujors un soir où tu t'arrêtes
insuffisant devant la mer.
Étroit.
Tant de mouvements foliés,
gestes profonds qui cherchent l'air.
Alors le seul silence d'être là
étonne la terre, congédiée des lois.
Acquitté
évident par cette brusque liberté en toi du large.
Lumière ténébreuse qui fut ma lumière …
Dans la matrice de la nuit
sur la face noire des eaux
un rêve assemble des figures —
tu ne sais plus quel séisme
ou appel augmente les vents —
une porte qu'ignorait le vide
est poussée par la rafale —
Le pas, la main, le pouls
rendus peu à peu au ressac —
s'éloignent à l'aube les caïques
et brillent un peu sur la tige
où quelqu'un les cueille
pour que reste inentamé le large.
Nous ne savons plus les fils qui lient
ces vents de résurrection
aux fonds inhabités.
Et d'où tenons-nous ces deux traits de feu
qui un instant nous clouèrent
une si claire douleur dans l'épaisseur des reins ?
Cette mer pressée saccagée par les vents —
notre route recollé de débris de fureur
sillon de ruse où h"site un espoir.
Les asphodèles sont droit fil à mer.
L'hiver sera tendre —
Des flammes blanches nous protègent.
Reflets de mémoire sur la vitre cassée —
couleur de l'oubli.
Jette ton soleil poulpe mélodieux —
tu as tant aimé la mer sombre.
Un pêcheur défait la lumière sur le flanc
de poissons à peine plus grands qu'une étincelle.
Sentiers
ronces, chardons
craquelures de la peau
sentiers d'octobre
dans l'or blessé des icônes
et je vis aussi comme une mer de cristal mêlée de feu
vois comme tout est plein
et fluide le brun des grès
sur la lame à double tranchant
et le tiers de la mer devint sang
et ton sang devint mer —
crépuscule d'octobre
lambeaux de thym et de sauge
d'île nue en île nue.
Ciel sombre de cyanose.
Une goutte d'oxygène y invente la danse —
ces lignes consument la musique.
L'aile
brille, plonge et rebrille plus sombre d'un rayon
cloué dans le dos.
Transparence qui n'explique rien.
Loránd Gáspár