Le jour était interminable
Par domcorrieras, le mardi 5 juillet 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
Le jour était interminable, à cinq têtes. Sans répit,
pendant cinq fois vingt-quatre heures,
Recroquevillé, je m'étais enorgueilli de l'espace, de le
voir pousser sur de la levure,
Le sommeil était plus ancien que l'ouïe, et l'ouïe était
plus ancienne que le sommeil, fine et compacte,
Et les grand-routes nous suivaient à la trace, tirant sur
la bride des cochers.
Le jour était interminable, à cinq têtes. Stupéfiée par la
danse,
La cavalerie chevauchait, venait ensuite des fantassins la
masse au faîte noir,
Par la dilatation de l'aorte de la puissance dans les nuits
blanches, non, dans les couteaux,
L'œil était métamorphosé en viande de conifère.
Donnez-moi pour un pouce de mer bleue, seulement
pour un œil d'aiguille de mer bleue,
Que le double du temps d'escorte passe comme une
voile bienheureuse !
O ! la geste russe avec le pain dur, et sans boire ! Et la
cuiller de bois !
Vous autres, où êtes-vous, les trois braves gars du
portail de fer du Guépéou !
Pour que le bon produit de Pouchkine ne tombe pas
entre les mains de fainéants,
Une tribu de pouchkinistes avec revolver et vareuse fait
ses classes,
Les jeunes amateurs de poésies aux dents blanches, les
voici !
Donnez-moi pour un pouce de mer bleue, seulement
pour un œil d'aiguille de mer bleue.
Le train roulait vers l'Oural. Un Tchapaiev parlant
Bondissait de l'image dans nos bouches étonnées,
Derrière une clôture de planches, sur une bande de
drap,
Mourir et puis sauter sur son cheval.
Juin 1935, Voronèje.
Ossip Mandelstam / Cahiers de Voronèje