« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Je t’attendais


 

 

Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires

Dans les années de sécheresse, quand le blé

Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe

Qui écoute apeurée la grande voix du temps

Je t’attendais, et tous les quais toutes les routes

Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait

Vers toi que je portais déjà sur mes épaules

Comme une douce pluie qui ne sèche jamais

Tu ne remuais encor que par quelques paupières,

Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées

Je ne voyais en toi que cette solitude

Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou

Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie

Ce grand tapage matinal qui m’éveillait

Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays

Ces astres ces millions d’astres qui se levaient

Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres

Pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau,

Quand les portes s’ouvraient sur des villes légères

Où nous allions tous deux enlacés par les rues

Tu venais de si loin derrière ton visage

Que je ne savais plus à chaque battement

Si mon cœur durerait jusqu’au temps de toi-même

Où tu serais en moi plus forte que mon sang.

René Guy Cadou / Hélène ou le Règne Végétal