« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

En amant vrai et fidèle


 

 

En amant vrai et fidèle,

Si vous aviez la planète

A vos pieds, je ne crains pas

Qu'avec la même confiance

Nul autre jamais vous aime ;

Mais par trop de dureté

Vous allez désespérer

Ma joie et mon espérance.

Daignez me récompenser

D'avoir si longtemps aimé.

 

Ah ! Félons que j'ai servis

Me plaignant de vilenie,

De causer tant de souffrance

Aux amants pleins de vaillance

Cesserez-vous donc, mauvais ?

Nenni, il en est ainsi :

Vilain oiseau, vilain cri,

Et Félons, malveillance ;

Jamais de vase pourri

Un doux parfum n'est sorti.

 

Il n'est pas un seul ennui,

Quand je songe aux yeux si vifs

Et à la douce apparence

De ma dame, que n'oublie

Au milieu de mes souffrances ;

Et rien tant ne me ravit

Que son souvenir joli

Et sa suave présence ;

Que j'en oublie de parler.

 

Madame, je ne peux plus

Supporter les maux d'amour,

Et je ne suis plus au point

De mourir, mais à la mort,

Et c'est pourquoi je me tais ;

Car je suis anéanti

Et j'ai le cœur si serré

Par votre grande insouciance

Que, si vous n'avez pitié,

Vous l'aurez bientôt brisé.

 

Comme Février et Mai

Comme rubis et diamant,

Rien n'égale sa beauté ;

Je meurs d'être séparé

De celle qui est ma joie

Désormais tout est fini

Et son règne s'abolit,

Si elle ne veut donner

A son ami la raison

Qui confonde les félons.

 

 

Si longue soit la durée

Qu'elle mette à m'accepter

Je ne pourrai oublier

L'amour que je veux garder,

          Tant m'est chère

Celle qui m'a subjugué

Et me retient à son gré.

 

Mon bel amour m'a laissé

En périlleuse contrée

Ah ! Champagne fortunée,

Que ne suis-je chez vous né ?

           Plus aisée

Serait ma peine à supporter

Au milieu de gens sensés.

Mon amour est si ancré

En mon cœur loyal et droit

Qu'il me plaît de prendre en gré

Ce qui doit me tourmenter :

          Sans prier

Je ne sais que me donner

Sans orgueil et sans débat.

 

Mon désir m'a bien trompé

Quand ma dame il m'a montrée.

Je pensais être exaucé

Bien vite ; et je prie encore.

          Ce penser

On ne pourra me l'ôter

Quoi qui me soit refusé.

 

Douce dame désirée

Près de qui je n'ose aller

Pour les malintentionnés

Qui sont toujours coutumiers

          De guetter

Les amants et d'intriguer ;

Dieu les fasse peu durer !

 

A Sailly, sans plus tarder

Va, chanson, pour divertir

Gui, qui connaît ma pensée,

Des échos de mon désir ;

          Au verger

Où nous étions tous les deux

Par ma joie renouvelée.

 

 

Ma présomption et mes folles pensées

Me font chanter, et je ne sais pourquoi,

Sinon pourtant que je l'ai regardée ;

Mais l'ayant vue, est-elle plus à moi ?

C'est la Cocagne que j'aurais trouvée,

Si m'est donné toujours ce que je vois ?

J'en suis bien loin, mais mon cœur en effroi

Nourrit l'espoir que ce chant m'a soufflé.

 

Je chante et j'aime, et si elle m'agrée

Pour mes tourments, c'est que je suis sa loi.

Jamais l'Amour par moi ne fut trompé ;

J'aime et je sers dans la crainte et la foi.

Si elle avait été plus mesurée

Et qu'elle n'eut voulu trahir ma foi,

Elle aurait su bientôt trouver en moi

Ce que le comte en Lorraine a trouvé.

 

Gautier d'Épinal / 3 chants in Trouvères Lorrains - La poésie courtoise en Lorraine au XIIIe siècle
Transposition en français moderne par Jacques Kooijman