« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA GITANE DÉTIENT UN CIEL EXERCÉ


 

 

Tu laisses le vent malade sur les mûriers. Mais

moi

Je marcherai vers la mer. Comment respirer ?

Qu'as-tu fait de nous ?

Pourquoi n'as-tu plus supporté gitane de

résider

Dans le quartier de l'iris ?

 

 

Nous avons ton bon désir d'or et de sang

insouciant dans les lignages

Martèle de ton talon l'icône de l'univers, et

les oiseaux chez toi se poseront

Les anges existent. Et un ciel exercé

Fais ce que bon te semble !

Martèle les cœurs comme l'on casse les noix

Et le sang des chevaux giclera

 

 

Apatride, ta chevelure. Et le vent n'a pas de

maison

Et je n'ai pas un toit dans les lustres de ta

poitrine

Venu d'un lilas souriant autour de ta nuit, je

parcours seul le chemin de ton duvet

Comme si tu avais été créée de tes propres

mains, gitane

Qu'as-tu fait de notre argile depuis l'autre

année ?

 

 

Tu t'habilles de l'endroit, comme si tu

revêtais à la hâte tes sérouals de feu

Et la terre sous tes mains n'a d'autre tâche

que de se retourner sur les outils de l'eau

Une guitare pour le vent

Et une flûte pour que l'Inde s'éloigne encore

Ne nous abandonne pas, gitane

Comme une armée, ses tristes vestiges

 

 

Lorsque, venue des contrées de l'hirondelle

Tu nous es apparue

Nous avons ouvert, soumis, nos portes sur

l'éternité

Tes tentes sont une guitare pour les gueux

Nous nous élevons et dansons jusqu'au

crépuscule

Du couchant sanguinolent à tes pieds

Tes tentes sont une guitare pour les chevaux

des envahisseurs anciens qui déferlent

Ecrire la légende des lieux

 

 

Chaque fois qu'elle fait vibrer une corde, son

diable nous atteint. Nous partons

Pour un autre temps. Nous cassons nos

cruches l'une après l'autre

Pour accompagner sa cadence

Nous n'étions ni bons ni mauvais, comme cela

se passe dans les romans

Elle gérait nos destinées de ses dix doigts

Fredonnant, fredonnant

 

 

Nuée ramenée de notre sommeil par les

colombes

Reviendra-t-elle demain ? Non, nous dit-on

La gitane ne revient pas

Elle ne traverse pas deux fois un pays

Qui unira à sa race, nos chevaux ?

Qui polira après elle

L'argenté des lieux ?

Mahmoud Darwich / Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
Illustration : Mahmoud Darwich Painting by Ahmad Kadi