Une page d'un journal intime
Par domcorrieras, le mercredi 20 avril 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
Aujourd'hui, sur la pente derrière la maison,
j'ai taillé et creusé un trou parmi les racines
Et la pierraille, suffisamment profond,
Et j'en ai débarrassé les pierres, et déplacé aussi
La terre sèche et fine.
Puis à genoux çà et là une heure durant
J'ai recueilli dans des souches de châtaigniers
Avec la pelle et les mains de cette terre
Noire, de bois pourri, à l'odeur chaude de champignon,
Deux lourds cuveaux que j'ai rapportés,
Et j'ai planté un arbre dans le trou,
L'ai gentiment entouré de terre tourbeuse,
Y ai versé lentement de l'eau chauffée au soleil,
En ai arrosé et baigné doucement les racines.
Il est planté là, petit et jeune, et sera là,
Quand nous aurons disparu, et que la bruyante
Grandeur et l'infinie misère de nos jours
Seront oubliés, et leur peur démente.
Le föhn le courbera. Le vent de la pluie l'ébouriffera,
Le soleil lui rira, la neige lui pèsera,
Le verdier et la sittelle l'habiteront,
Le calme hérisson fouillera à ses pieds,
Et ce qu'il aura vécu, goûté, souffert,
Au cours des années, accouplements d'animaux,
Accablement, guérison, amitié du vent et du soleil,
À flots de lui s'écoulera dans le chant
De son feuillage bruissant, dans l'aimable
Geste du doux et délicat parfum de sa sève
Qui humecte ses bourgeons collés de sommeil,
Dans l'éternel jeu des lumières et des ombres
Que, satisfait, il joue avec lui-même.
Herman Hesse / C'en est trop
Illustration : Hermann Hesse by Alex Gumà - 2011