« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Une page d'un journal intime


 

 

Aujourd'hui, sur la pente derrière la maison,

j'ai taillé et creusé un trou parmi les racines

Et la pierraille, suffisamment profond,

Et j'en ai débarrassé les pierres, et déplacé aussi

La terre sèche et fine.

Puis à genoux çà et là une heure durant

J'ai recueilli dans des souches de châtaigniers

Avec la pelle et les mains de cette terre

Noire, de bois pourri, à l'odeur chaude de champignon,

Deux lourds cuveaux que j'ai rapportés,

Et j'ai planté un arbre dans le trou,

L'ai gentiment entouré de terre tourbeuse,

Y ai versé lentement de l'eau chauffée au soleil,

En ai arrosé et baigné doucement les racines.

 

Il est planté là, petit et jeune, et sera là,

Quand nous aurons disparu, et que la bruyante

Grandeur et l'infinie misère de nos jours

Seront oubliés, et leur peur démente.

Le föhn le courbera. Le vent de la pluie l'ébouriffera,

Le soleil lui rira, la neige lui pèsera,

Le verdier et la sittelle l'habiteront,

Le calme hérisson fouillera à ses pieds,

Et ce qu'il aura vécu, goûté, souffert,

Au cours des années, accouplements d'animaux,

Accablement, guérison, amitié du vent et du soleil,

À flots de lui s'écoulera dans le chant

De son feuillage bruissant, dans l'aimable

Geste du doux et délicat parfum de sa sève

Qui humecte ses bourgeons collés de sommeil,

Dans l'éternel jeu des lumières et des ombres

Que, satisfait, il joue avec lui-même.

Herman Hesse / C'en est trop
Illustration : Hermann Hesse by Alex Gumà - 2011