« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES PIGEONS


 

 

     Qu'ils fassent sur la maison un bruit de

tambour voilé ;

     Ou qu'ils sortent de l'ombre, culbutent,

éclatent au soleil et rentrent dans l'ombre ;

     Que leur col fugitif vive et meure comme

l'opale au doigt ;

     Ou qu'ils s'endorment, le soir, dans la

forêt, si pressés que la plus haute branche

du chêne menace de rompre sous cette

charge de fruits peints ;

     Que ces deux-là échangent des saluts

frénétiques et brusquement, l'un à l'autre,

se convulsent ;

     Ou que celui-ci revienne d'exil, avec

une lettre, et vole comme la pensée de

notre amie lointaine (Ah ! un gage !) ;

     Tous ces pigeons, qui d'abord amusent,

finissent par ennuyer.

     Ils ne sauraient tenir en place et les

voyages ne les forment point.

     Ils restent toute la vie un peu niais.

     Ils s'obstinent à croire qu'on fait les

enfants par le bec.

     Et c'est insupportable à la longue, cette

manie héréditaire d'avoir toujours dans la

gorge quelque chose qui ne passe pas.

Jules Renard / Histoires naturelles