LES PIGEONS
Par domcorrieras, le vendredi 15 avril 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
Qu'ils fassent sur la maison un bruit de
tambour voilé ;
Ou qu'ils sortent de l'ombre, culbutent,
éclatent au soleil et rentrent dans l'ombre ;
Que leur col fugitif vive et meure comme
l'opale au doigt ;
Ou qu'ils s'endorment, le soir, dans la
forêt, si pressés que la plus haute branche
du chêne menace de rompre sous cette
charge de fruits peints ;
Que ces deux-là échangent des saluts
frénétiques et brusquement, l'un à l'autre,
se convulsent ;
Ou que celui-ci revienne d'exil, avec
une lettre, et vole comme la pensée de
notre amie lointaine (Ah ! un gage !) ;
Tous ces pigeons, qui d'abord amusent,
finissent par ennuyer.
Ils ne sauraient tenir en place et les
voyages ne les forment point.
Ils restent toute la vie un peu niais.
Ils s'obstinent à croire qu'on fait les
enfants par le bec.
Et c'est insupportable à la longue, cette
manie héréditaire d'avoir toujours dans la
gorge quelque chose qui ne passe pas.
Jules Renard / Histoires naturelles