« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'Arche


 

 

On peut m'imaginer courant de salons en vernissages, bien repassée comme un torchon sans taches

J'abrite en moi un vieil homme ivre qui dégueule les vitrines et la nuit des musées, qui rote les festivités télécommandées, qui pète à la gueule des barbus à pantalons étriqués.

Hier soir je suis sortie avec des sorciers poètes à la beauté irréductible. A première vue des animaux un peu plus sauvages que les autres hommes. A double vue, des esprits nocturnes, serpentins, rusés et vieux, vieux comme des clous d'Arche.

Nous avons bu et fini dans un kébab rue de Paradis.

Paris me transpirait ses trottoirs peuplés de fantômes rigolards, d'abandonnés et d'esclaves sapés.

Le monde est-il devenu un enfer ?

J'entends la terre se marrer du rire de Kali : tremblez et pianotez, partagez en panique vos papiers d'alarmes, narrateurs de vos apocalypses personnelles.

Qui peut trouver la paix ici s'abandonne avec joie aux débordements et sans flemme aux reboots incessants. Les villes puent comme le bon sexe. Certains esprits préfèrent ne pas s'y colleter. Ils se laissent caresser par la pureté des côtes, des maisons fleuries ou des cimes.

Restent les fiévreux. Comme moi, qui de mon plein gré, vais gratter le pavé pour y retrouver un peu d'odeur de pisse et de tomate pourrie.

ll faut beaucoup de foi ou de folie pour sentir son propre derrière (et non son derrière propre) comme les chiens.

Je volète entre les murs, les yeux trempés de ciel, les lèvres poisseuses de désirs inutiles créés par les cités écrans.

- Ne pas étouffer de l'oubli de l'amour :

Souvent, je partage des œufs aux plats avec un archange lituanien dans son chaos d'ordis, de papiers qui traînent parmi les échafaudages de verres à vodka et mugs à cafés turcs crémeux et trop sucrés.

Je m'assoupis près de lui sur le canapé devant des séries russes, la tête collée au cendrier THC, lovée dans un duvet saveur "sueur de Thor."

Nous rions au réveil de nos têtes bêches, moi, plongée au Sud, lui planant au Nord :

osmose chaste de polarités pacifiques. Elle ne porte pas de nom et n'a jamais connu l'ombre du sordide mais la douceur paresseuse du don sans capitalisation.

La nudité est encore ce qui nous tient le plus chaud.

Villas de bords de mer ou châteaux urbains, c'est le prince qui fait le royaume

Magdala Mathilde
Photo : Ralph Hassenpflug