Au foyer
Par domcorrieras, le jeudi 31 mars 2022 - Poèmes & chansons - lien permanent
L'ombre s'étendait… Le foyer s'éteignait.
Bras croisés, à l'écart, seul il se tenait.
Un regard immobile fixé sur les lointains,
Il faisait le récit de son amer chagrin.
« J'ai penétré au cœur des pays inviolés,
Quatre-vingt-dix jours mes hommes ont cheminé.
Après chaînes de montagnes, forêts et parfois
Des villes étranges se profilaient là-bas.
Dans la paix de la nuit, de ces villes, souvent,
Des cris mystérieux atteignaient notre camp.
Nous abbattions des arbres, nous creusions des fossés,
Et le soir des lions venaient nous visiter.
Mais point d'âme craintives parmi nous, et sur eux
Nous tirions, en visant droit entre les yeux.
J'ai dégagé des sables un temple des temps passés,
Mon nom à une rivière a été attribué.
Et au pays des lacs, cinq puissantes tribus
Se pliaient à mes ordres, observaient mes statuts.
Mais là je me sens faible, et comme hypnotisé,
Et mon âme est malade, malade et torturée.
Je sais ce qu'est la peur, je le sais, aujourd'hui,
Depuis qu'entre ces murs je suis enseveli :
Ni le murmure des flots, ni l'éclat du fusil
Ne peuvent plus briser la chaîne qui me lie… »
Et célant dans ses yeux un triomphe mauvais,
Se tenant à l'écart, une femme m'écoutait.
1911
Nicolaï Goumilev
traduit du russe par Nikita Struve