« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Au foyer


 

 

L'ombre s'étendait… Le foyer s'éteignait.

Bras croisés, à l'écart, seul il se tenait.

 

Un regard immobile fixé sur les lointains,

Il faisait le récit de son amer chagrin.

 

« J'ai penétré au cœur des pays inviolés,

Quatre-vingt-dix jours mes hommes ont cheminé.

 

Après chaînes de montagnes, forêts et parfois

Des villes étranges se profilaient là-bas.

 

Dans la paix de la nuit, de ces villes, souvent,

Des cris mystérieux atteignaient notre camp.

 

Nous abbattions des arbres, nous creusions des fossés,

Et le soir des lions venaient nous visiter.

 

Mais point d'âme craintives parmi nous, et sur eux

Nous tirions, en visant droit entre les yeux.

 

J'ai dégagé des sables un temple des temps passés,

Mon nom à une rivière a été attribué.

 

Et au pays des lacs, cinq puissantes tribus

Se pliaient à mes ordres, observaient mes statuts.

 

Mais là je me sens faible, et comme hypnotisé,

Et mon âme est malade, malade et torturée.

 

Je sais ce qu'est la peur, je le sais, aujourd'hui,

Depuis qu'entre ces murs je suis enseveli :

 

Ni le murmure des flots, ni l'éclat du fusil

Ne peuvent plus briser la chaîne qui me lie… »

 

Et célant dans ses yeux un triomphe mauvais,

Se tenant à l'écart, une femme m'écoutait.

 

1911

Nicolaï Goumilev
traduit du russe par Nikita Struve