« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE LISERON


 

 

Aimez le Liseron, cette fleur qui s'attache

Au gazon de la tombe, à l'agreste rocher ;

Triste et modeste fleur qui dans l'ombre se cache

                   Et frissonne au toucher !

 

Aimez son teint si pâle et son parfum d'amande ;

Ce parfum, on le cherche, il ne vient pas à vous ;

Mais, à l'humble corolle alors qu'on le demande,

                   On le sent pur et doux.

 

Il ne pénètre pas les sens comme la rose,

Il ne jette pas l'âme en de molles langueurs,

Suave et virginal, de l'ivresse il repose,

                   Et rafraîchit les cœurs.

 

De l'amour idéal, chaste et touchant emblème,

Il vit et meurt caché sous le regard de Dieu,

S'abreuve de rosée et de soleil, de même

Que l'âme se nourrit de larmes et de feu.

 

Comme l'amour encor qui, pudique, se voile,

L'homme, sans le sentir, le foule sous ses pas,

Ou parfois à la tige il arrache l'étoile

               Et ne l'aspire pas !

 

Plus d'un cœur fut ainsi brisé dans le silence,

Étouffant un amour, mystère de pudeur,

Désir inexprimé qui vers le ciel s'élance,

Comme du Liseron la balsamique odeur !

 

Paris, 1837

Louise Colet / Penserosa. - Poésies nouvelles Illustration : Mouise Colet, dessin de Winterhalter (vers 1840)