« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ARRACHE-MOI DOUCEMENT


 

 

Arrache-moi doucement à l'enveloppe de chair

qui m'opprime me tourmente et m'étrangle

Arrache-moi doucement à la griffe de la douleur

Q'un moment je sois tout entier un homme

 

Conduis-moi au pays qui n'existe

que lorsque tes doigts brûlent

Et que tes cheveux répandent dans la chambre

Une odeur de terre d'aube et de terre mouillée

 

Ne parle pas l'Amour est un long silence

Habité par un verbe tout-puissant

qui sourd des feuilles et des eaux

Et des deux corps qui se fondent ensemble

 

Arrache-moi doucement aux masques de la mort

Aux gargouilles de l'ennui qui ricanent dans le sommeil

Achève en moi enfin la créature qu'un dieu pâle a modelée

D'un peu de salive d'argile et d'imagination

 

Par le jeu savant des caresses et des baisers

Jette-moi en pâture aux lions du vertige

que plus rien ne demeure de l'ancienne fable

où j'errais comme un fantôme de fumée et de brume

 

oublie la terrible royauté des objets quotidiens

les chaînes de la morale nous serons libres

Voguant comme deux navires de haut bord

qui s'abîment avec lenteur sur les rivages du Soleil.

André Laude / Entre le vide et l'illumination