« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'AMANT PEU ZÉLÉ ET L'OCCASION PERDUE


 

 

     Il y avait, dans le temps jadis, un amant connu de son époque pour attentif observateur de ses engagements.

     Depuis des années, le désir de se rencontrer avec sa belle le tenait ; il se voyait échec et mat, et très perplexe, dans sa passion pour sa reine.

     Tout chercheur finit par trouver, car la joie brille au travers de la patience.

     Un jour, son amie lui dit : « J'ai fait cuire des fèves pour toi ; viens cette nuit,

     « Et jusqu'à l'heure de minuit, tiens-toi dans telle chambre, j'arriverai à minuit, sans qu'il soit nécessaire de m'appeler. »

     L'homme fit des sacrifices et distribua des pains ; puisque la lune, sortant de la poussière, se montrait à lui.

     Il se trouva la nuit dans la chambre indiquée et attendit, espérant voir se réaliser la promesse de cette amie si chère.

     Il s'assit et patienta quelque temps, puis le sommeil le surprit ; alors il tomba et perdit connaissance ; le malheureux !

     Il était resté éveillé pendant une heure, puis le sommeil l'avait saisi. Pour un amant éperdu, s'endormir, quelle chose étrange !

     Son amie vint peu après minuit, comme une personne fidèle à ses promesses ; sa bien-aimée étant donc arrivée,

     Trouva son amoureux étendu et endormi !

     Elle déchira un petit morceau de sa manche;

     Puis elle déposa quelques noix dans son sein, comme pour dire : « Tu es un enfant, prends ceci et amuse-toi à jouer ».

     Au point du jour, quand l'amoureux s'éveillant sauta sur ses poeds, il remarqua sa manche (déchirée), et les noix.

     Alors, il se dit : « Notre souveraine est toute pureté et sincérité ; et ce qui nous arrive n'est que l'effet de notre propre conduite ! »

Djalâl ad-Dîn Rûmî / Mèsnèvri (liv. VI).
traduit du perse par Hocéÿne-Azad