« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ZAÏRA


 

 

POÉSIE ORIENTALE

 

 

« D'où vient que vous aimez de la sorte ?
demanda encore Sahid. — Nos femmes sont
belles et nos jeunes gens sont chastes,
répondit l'Arabe de la tribu d'Azra, »
(DE STENDHAL.)

 

 

Le couchant s'éteignait, voilé.

Un air tiède, comme une haleine,

Sous le crépuscule étoilé

Flottait mollement sur la plaine.

 

L'Arabe amenait ses coursiers

Devant ses tentes entr'ouvertes ;

Les platanes et les palmiers

Froissant leurs longues feuilles vertes.

 

Son menton bruni dans la main,

Tout amoureusement penchée,

Sa jeune fille, un peu plus loin,

Sur une natte était couchée.

 

Ses yeux noirs chargés de langueur

De leurs cils ombraient son visage ;

— Devant elle, le voyageur

Arrêta son cheval sauvage.

 

Et, se courbant soudain, il dit :

« Allah ! comme vous êtes belle !

« Veux-tu fuir ce désert maudit ?

« Je t'aime et te serai fidèle. » —

 

L'enfant le regarda longtemps ;

Et, se soulevant avec peine :

« Tu n'es pas celui que j'attends,

« O voyageur au front d'ébène !

 

« Un autre a déjà mon amour.

« Et mon amour, c'est tout mon être ;

« J'attends ici le giaour,

« Qui reviendra ce soir, peut-être.

 

« Cela m'attriste bien pour toi,

« Le mal cruel que je te cause,

« Mais, en doux souvenir de moi,

« Je veux te donner quelque chose.

 

« Prends ce collier d'ambre, veux-tu ?

« Tiens, et puis qu'Allah te conduise !

« Oh ! pourquoi n'es-tu pas venu

« Avant que ma foi fût promise. »

 

« — O perle du désert ! dis-moi…

« Si le giaour infidèle

« Ne s'en revenait plus vers toi ?… »

« — Je te comprends bien, lui dit-elle.

 

« Mais, je m'appelle Zaïra : —

« Va, mon cœur l'aimerait quand même,

« Je suis de la tribu d'Azra…

« Chez nous on meurt lorsque l'on aime ! »

Comte Villiers de L'Isla Adam / Deux essais de poésie