« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Ombres et Reflets


 

 

I

Sur la page blanche, nos crayons immobiles dorment sous le halo de mes lampes. Premières heures pacifiantes du soir, crépuscule ouaté de silences après les siestes longues, yeux et chair reposés, la jactance du poème n’est pas l’espoir des hommes.

« Pensez aux maux dont vous êtes exempts », édicte la sagesse musulmane:

L’abjection du « toboute » (cellule d’inculpés) du bureau de la police, la prison, et la cruelle solitude de l’esprit, le mal dormir, l’injustice des aigris, l’inquiétude douloureuse des lendemains éthyliques, les paroles irritées qui attristent et blessent nos amis…

Voici la table jonchée de cendres sur les vains discours de nos grimoires. Filles indolentes de minuit à l’effigie des stances esquissées, mon bel émoi étend son ombre sur mon buvard.

II

Avant l’aurore, l’haleine de la mer salue l’espoir de l’homme, et, vers l’orient, son regard embrasse l’horizon des montagnes couronnées d’étoiles. Fumées parfumées de la pipe culottée, cafés des bouges, balayeurs, et les mégots du soir, encore humides de la salive des beautés du bal, au bistrot, ma bouche recèle le dentifrice de la Muchacha.

Gabriel Rousseau, au « National », et Elie Bazile, au « Matin », distribuent les journaux aux facteurs.

Quatre heures du matin, Grand’Rue, c’est la halte, chez Angèle, des escogriffes en manches de chemise, voyous soûls, roulures, viragos dépeignées, pickpockets, sans-domiciles, dévoyés, pochards silencieux aux mines équivoques de mouchards…

Mais orientés vers la mer, nos pas, le long des trottoirs du boulevard, rejoignent ceux des villageoises, pieds menus dans des sandales de cuir.

Échos multipliés des mélodies rehaussées, la Tanagra a perdu son porte-bonheur, et Djoméca, au dancing, rejoue la valse de Tennessee.

Magloire-Saint-Aude, Le Nouvelliste, 22 décembre 1956