« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La Danse macabre des femmes


         

 

 

            LA MORT

Noble Royne de beau corsaige,
Gente et joyeuse a l’avenant,
J’ay, de par le Grant Maistre, charge
De vous amener maintenant,
Comme chose bien advenant
Ceste dance en commencerés :
Faictes devoir au remanant.
Vous qui vivez, ainsy ferés.
 

            LA REINE
 

Ceste dance m’est bien nouvelle,
Et en ay le cueur fort surprins.
Hé Dieu ! quelle dure nouvelle
A gens qui ne l’ont pas aprins !
Las ! en la mort tout est comprins :
Royne, dame grande et petite
Les plus grans sont les premiers prins.
Contre la mort n’a point de fuite.
 

            LA MORT
 

Après madame la Duchesse,
Vous viens querir et prochasser :
Ne pansés plus a la richesse,
A biens n’a joyaulx amasser ;
Il vous faut ennuyt trespasser ;
Certes, de vostre vie est fait.
C’est foleur de tant embrasser.
L’en n’en porte que le bien fait !
 

            LA DUCHESSE
 

Je n’ay pas encore trante ans.
Helas ! a l’eure que commance
A savoir que c’est de bon temps,
La mort vient tollir ma plaisance.
J’ay des amys, argent, chevance,
Soulas, esbaz, gens a deviz,
Par quoy m’est dure la sentence.
Gens aisez si meurent envis.
 

            LA MORT
 

Femme nourrie en mignotise
Qui dormez jusques au disner,
L’en vous chauffe vostre chemise.
Il est temps de vous desjeuner.
Vous ne deussiez jamais jeusner,
Car vous estes trop megre et vuyde.
A demain vous viens adjourner :
L’en meurt plus tost que l’en ne cuyde.
 

            LA FEMME MIGNOTE
 

Pour Dieu qu’on me voise querir
Medecin et apothicaire.
Et commant me faut il mourir :
J’ay mari de si bonne affaire,
Aneaulx, rubis, neuf ou dix paires.
Ce morceau cy m’est bien aigret,
Et se passe tost vaine gloire.
Femme en ces saulx meurt a regret.
 

            LA MORT
 

Dictes, jeune femme a la cruche,
Renommee bonne chambriere
Respondés au moins quant l’en huche
Sans tenir si rude maniere :
Vos n’irés plus a la riviere
Baver au four n’a la fenestre.
Vez cy vostre journee derniere.
Aussy tost meurt servant que maistre.
 

            LA CHAMBRIERE
 

Quoy ! ma maistresse m’a promis
Me marier et des biens faire,
Et puys si ay d’aultres amys
Qui luy ayderont a parfaire.
Hé ! m’en iray je sans rien faire ?
J’en appelle, car on me fait tort ;
Et quant a moy, ne m’en puys taire,
Peu de gens se louent de la mort.
 

            LA MORT
 

Ça, povre femme de villaige,
Suyvez mon train sans plus tarder,
Plus ne vendrez eufs ne formaige,
Alez vostre pennier vuyder.
Se vous avez sceu bien garder
Povreté, patience et perte,
Vous en pourrez bien amender
Chascun trouvera sa desserte.
 

            LA FEMME DE VILLAGE
 

Je prens la mort vaille que vaille
Bien en gré et en patience ;
Francs archiers ont prins ma poullaille
Et osté toute ma substance.
De povres gens ame ne pense,
Entre voisins n’a charité.
Chascun veult avoir grant chevance ;
Nul n’a cure de povreté.
 

            LA MORT
 

Venez près, petite garsette,
Baillés moy vostre bras menu.
Il faut que sur vous la main mette :
Vostre dernier jour est venu.
Je n’espargne gros ne menu,
Grant ou petit, ce m’est tout ung,
Et prens tant payé, tant tenu.
La mort est commune a chascun.
 

            LA FILLETTE
 

Las ! ma mere, je suis happee :
Vez cy la mort qui me transporte.
Pour Dieu qu’on garde ma poupee
Mes cinq pierres, ma belle cotte :
Ou elle vient trestout emporte
Par le povoir que Dieu luy donne.
Vieux et jeunes de toute sorte
Tout vient de Dieu, tout y retorne.

Martial d'Auvergne / La danse macabre des femmes
Illustration : Martial d'Auvergne (1430-1508) : Danse macabre des femmes. Enlumineur Maître de Philippe de Gueldre