« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE SOMMEIL M'ENVAHIT


 

 

Le sommeil m'envahit, je suis lucide encor.

La torpeur, dans ma main, descend comme une rose.

Je palpe, ainsi qu'un roi qui tient un globe d'or,

Le monde inférieur sur qui je me repose.

 

Mon esprit soulevé dédaigne ce qui fut.

Nul souvenir du jour, plus de mémoire amère ;

Magnanime oiseleur délaissant ses affûts,

Le temps m'accorde un pur mépris de l'éphémère !

 

Augustes sentiments au rebut : gloire, amour,

Combat de tout instant pour trouver dans les hommes

L'enchantement secret, cet étrange secours

Qui menace, accomplit, détruit ce que nous sommes,

 

Vous n'êtes plus qu'un fin tourbillon dans mon sang !

L'excès et la langueur guérissent d'être avide.

Le soir qui s'obscurcit n'est soudain qu'un absent.

Et je contemple, avec un œil épris de vide,

Le délicat regard qu'ouvre en la nuit solide

La fêlure aérée et pure du croissant !

Anna de Noailles / Derniers vers Illustration : Reproduction d'un portrait de jeune femme par René Benjamin