« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

HÉRITAGE DE LA TRISTESSE


 

 

Il est triste et pêle-mêle dans les étoiles tombées

livides, muet, nulle part effaré, vaste fantôme

il est ce pays seul avec lui-même et neige et rocs

un pays que jamais ne rejoint le soleil natal

en lui beau corps s'enfouit un sommeil désaltérant

pareil à l'eau dans la soif vacante des graviers

 

je le vois à la bride des hasards, des lendemains

il affleure dans les songes des hommes de peine

quand il respire en vagues de sous-bois et de fougères

quand il brûle en longs peupliers d'années et d'oubli

l'inutile chlorophylle de son amour sans destin

quand il gît à son cœur de misaine un désir d'être

 

il attend, prostré, il ne sait plus quelle rédemption

parmi les paysages qui marchent en son immobilité

parmi ses haillons de silence aux iris de mourant

il a toujours ce sourire échoué du pauvre avenir avili

il est toujours à sabrer avec les pagaies de l'ombre

l'horizon devant lui recule en avalanches de promesses

 

démuni, il ne connaît qu'un espoir de terrain vague

qu'un froid de joie parlant avec le froid de ses os

le malaise de la rouille, l'à-vif, les nerfs, le nu

dans son large dos pâle les coups de couteaux cuits

il vous regarde, exploité, du fond de ses carrières

et par à travers les tunnels de son absence, un jour

n'en pouvant plus y perd à jamais la mémoire d'homme

 

les vents qui changez les sorts de place la nuit

vents de rendez-vous, vents aux prunelles solaires

vents telluriques, vents de l'âme, vents universels

vents ameutez-le, et de vos bras de fleuve ensemble

enserrez son visage de peuple abîmé, redonnez-lui

la chaleur

        et la profuse lumière des sillages d'hirondelles

Gaston Miron / La vie agonique