« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES CAPRICES DES AMOUREUX


 

 

(Histoire véritable, racontée d'après d'anciens documents originaux,
et traduits en belles rimes allemandes)

 

 

     Le scarabée se tenait sur une haie, triste et pensif ; il est devenu amoureux d'une mouche.

 

     « O mouche de mon âme, sois l'épouse de mon choix !

 

     « Épouse-moi, ne rejette pas mon amour ! j'ai un ventre tout d'or.

 

     « Mon dos est d'un éclat splendide ; ce ne sont que rubis et émeraudes. »

 

     — « Je serais bien folle, vraiment ! Non, jamais je ne rendrai un scarabée.

 

     « Ni l'or, ni les rubis, ni les émeraudes ne m'attirent. Je sais que la richesse ne fait pas le bonheur.

 

     « Mes rêves sont pour les choses idéales, car je suis une mouche qui se respecte. »

 

     Le scarabée s'envola accablé de tristesse ; la mouche s'en alla prendre un bain.

 

     « Où donc est ma servante l'abeille, pour qu'elle m'aide à me laver ?

 

     « Où est-elle, pour frotter doucement ma fine peau ? car je suis la fiancée d'un scarabée.

 

     « En vérité, c'est là un magnifique parti ; de plus beau scarabée, il n'en est point.

 

     « Son dos est d'un éclat splendide ; ce ne sont que rubis et émeraudes.

 

     « Son ventre est tout d'or ; il a de nobles traits. Plus d'une grosse mouche ambitieuse en crèvera de dépit.

 

     « Hâte-toi, mon abeille, hâte-toi de me friser, de lacer mon corsage, et de répandre sur moi les parfums.

 

     « Frotte-moi avec l'essence de rose et verse-moi de l'huile de lavande sur les pieds.

 

     « Il ne faut pas que je pue quand je reposerai dans les bras de mon fiancé.

 

     « Déjà les demoiselles bleues, mes filles d'honneur, viennent me complimenter ;

 

     « Elles me tressent ma couronne virginale de blanches fleurs d'oranger.

 

     « Beaucoup de musiciens sont invités, des chanteuses aussi, surtout les cigales du grand monde.

 

     « Les butors, les frelons, les taons, les bourdons sonneront de la trompette et battront du tambour.

 

     « Ils joueront la musique de la fête. Déjà voici venir les gens de la noce ; ces papillons aux ailes bigarrées sont toujours bien huppés.

 

     « Voici venir toute la famille, parée et joyeuse. A vrai dire, il y a dans le nombre beaucoup de vilains insectes.

 

     « Les sauterelles et les guêpes, les tantes et les cousins arrivent. Les trompettes retentissent.

 

     « Le révérend crapaud, pasteur en robe noire, se présente aussi. — Il se  fait tard déjà, et les cloches sonnent, bim-bam, bim-bam… Où reste mon cher fiancé ? »

 

     « Les cloches sonnent, bim-bam, bim-bam. — Où reste donc mon fiancé chéri ? »

 

     Le fiancé volait toujours bien loin, bien loin. Il s'était posé enfin sur son tas de fumier.

 

     Il y resta set ans, jusqu'à ce que la fiancée fût morte et pourrie

Heinrich Heine / Poèmes et légendes
Illustration : Heine avec Karl et Jenny Marx