« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

FAIM


 

 

Si j'ai du goût, ce n'est guère

Que pour la terre et les pierres.

Je déjeune toujours d'air,

De roc, de charbons, de fer.

 

Mes faims, tournez. Passez, faims,

          Le pré des sons.

Attisez le gai venin

          Des liserons.

 

Mangez les cailloux qu'on brise,

Les vieilles pierres d'églises ;

Les galets des vieux déluges,

Pains semés dans les vallées grises.

 

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Le loup criait sous les feuilles

En crachant les belles plumes

De son repas de volailles ;

Comme lui je me consume.

 

Les salades, les fruits

N'attendent que la cueillette ;

Mais l'araignée de la haie

Ne mange que des violettes.

 

Que je dorme ! que je bouille

Aux hôtels de Salomon.

Le bouillon court sur la rouille,

Et se mêle au Cédron*.

 

     Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'Azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d'or de la lumière nature.

     De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible :

 

Elle est retrouvée !

Quoi ? l'éternité.

C'est la mer mêlée

          Au soleil.

 

Mon âme éternelle,

Observe ton vœu

Malgré la nuit seule

Et le jour en feu.

 

Donc tu te dégages

Des humains suffrages,

Des communs élans !

Tu voles selon…

 

— Jamais l'espérance;

          Pas d'orietur.

Science et patience,

Le supplice est sûr.

 

Plus de lendemain

Braises de satin,

          Votre ardeur

          Est le devoir.

 

Elle est retrouvée !

— Quoi ? — l'Éternité.

C'est la mer mêlée;

          Au soleil.

 

 

 

 

* Cédron : Torrent qui sépare Jérusalem du mont des Oliviers ; c'est près du Cédron que Jésus, trahi par Judas, est saisi par les gardes.

 

Arthur Rimbaud / Une saison en enfer / Délires II - Alchimie du verbe (extrait)