« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Bruges


 

 

Je n'ai pas oublié non plus les petites maisons

De briques nettes, ni les jardinets à demi fous

Sur les canaux, ni la patience morte des femmes

Qui voudraient crier sous l'éclat de verre, des faïences

Et des meubles cirés jusqu'à l'usure de leur rêve

(Et le voici qui va tout seul dans l'épaisseur du chêne

Avec ses deux mains en avant qu'on ne reconnaît pas,

Ce corsage plus sombre où bat le cœur qui se dédouble),

Ni les ponceaux très bas, les pavés comme des genoux

Enfantins, le balancement de robe des allées

Sous le ciel énorme et trempé qui flotte, retenu

Par l'averse de soie et les attelages de cygnes.

Tant d'impasses où la mémoire ou le ciel de nouveau

Descend comme un regard lavé par les premières larmes,

Et l'herbe folle dénouée ainsi que des cheveux

S'écarte ô genoux bleus, linges que l'air soulève à peine

A l'appel étranglé dans la gorge contre le mur

Qui refait le compte avec soin de ses petites briques,

Les ressuie avec soin d'un peu de sang ou de salive,

Borne des cœurs cloués quand battent les ailes du rire

Le plus secret, l'écartelé, quand le temps marche d'or

Et d'ombre entre les ponts et se rue en silence au fond

Des chambres d'ombre et d'or et sans déchirer la dentelle.

Jaques Réda / Récitatif