BALLADE DE MERCI
Par domcorrieras, le jeudi 18 février 2021 - Poèmes & chansons - lien permanent
Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez le cœur contre nous endurci.
Ne riez pas quand nous apercevez
Tout décharnés, car tels serez aussi.
Ne nous condamnez pas, parce qu'occis
Par justice, car justice varie
Et tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Tirez leçon de nos os tout en poudre :
De notre mal personne ne se rie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a ravinés et lavés
Et cette chair, par nous trop bien nourrie
ESt morte. Les corbeaux ont crevé
Ces yeux dont la convoitise est tarie.
Nous avons cherché à nous élever :
C'est fait ! Voyez flotter nos chairs pourries
Comme crottins, rebuts jetés à la voirie,
Plus becquetés d'oiseaux que dès à coudre…
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
A fillettes montrant têtins
Pour avoir plus largement hôtes,
A voyous coureurs de putains,
Vivant grassement de leur faute,
A fous et folles, sots et sottes,
Pickpockets, tueurs endurcis,
Tartuffes et fausses dévotes,
Je crie à tous merci.
Mais pas aux chiens de la police
Qui m'en ont fait assez baver :
Pour ces bâtards pleins de malice,
Je voudrais les voir tous crever !
Mais déjà le bourreau m'appelle,
Ils sont les plus forts, c'est ainsi,
Et pour éviter les querelles,
A eux aussi, je crie merci.
Qu'on leur casse à coups de maillets
Leurs sales gueules, sans merci !
Le reste, je veux l'oublier
Et crie à toutes gens merci.
Bertold Brecht / L'Opéra de quat' sous, d'après François Villon.
Illustration : portrait de Bertold Brecht par Rudolf Schlichter (1926)