« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA MAIN LA POMME


 

 

Voici la pomme. Avant même de mordre,

Je vois déjà la trace de mes dents,

Déjà s'imprime un livre de beauté.

La chair jaunit, je ne suis qu'un murmure,

Un cri plus vif d'être ainsi retenu.

 

Le monde est rond, dit la fleur à l'anguille.

Que de prudence en mes gestes voulus !

Et cette joie éparse dans la bouche

Qui se retient de rire ou de chanter

Pour célébrer le vieux rite des choses.

 

La main la pomme et la saveur du geste.

L'arbre là-bas qu'un doigt de vent caresse,

L'oiseau nourri de son seul équilibre.

Un jardin d'ombre. Un lac. Une cithare.

Un couteau noir pour éplucher la terre.

 

Tu te croyais venu d'un autre siècle

Et tu n'étais qu'un présent parmi d'autres,

Un peu plus nu, tout aussi déserté.

Si l'exilé passe devant ma porte,

Je lui tendrai ma présence et le fruit.

Robert Sabatier / ICARE et autres poèmes