« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

XII. PROBLEME


 

 

(Ballade de Fortune)

 

Fortune fuz par clercs jadis nommée,

que toy, Françoys, crye et nomme murtriere,

Qui n'es homme d'aucune renommée.

Meilleur que toy faiz user en plastiere

Par povreté, et fouÿr en carriere.

S'a honte viz, te dois tu doncques plaindre ?

Tu n'es(t) pas seul, si ne te dois complaindre.

Regarde et voy, de mes faiz de jadis,

Mains vaillans homs par moy mors et roiddiz

Et n'es, ce sais, envers eulx ung soullon.

Appaise toy et mect fin en tes diz :

Par mon conseil prens tout en gré, Villon !

 

Contre grans roys me suis bien arr[i]mée

Le temps qui est passé ça(r) en arriere.

Priame occis et toute son armée :

Ne lui valut tour, donjon ne barriere.

Et Hannibal, demoura il derriere ?

En Cartaige par mort le feiz actaindre.

Et Scypïon l'Affricquain feiz estaindre.

Julius Cesar au Senat je vendiz

En Egypte Pompéë je perdiz.

En mer noyay Jazon en ung boullon,

Et une foys Romme et Rommains ardiz.

parmon conseil prens tout en gré, Villon !

 

Alixandre, qui tant fist de hemée

Qu'il voulut voir l'estoille poucyniere,

Sa  personne par moy fut env(e)limée.

Alphasar roy, en champ, sur la baniere

Ruay jus mort. Cela est ma maniere :

Ainsi l'ay fait, ainsi le maintendray,

Autre cause ne raison n'en rendray.

Holofernés l'idolastre mauldiz,

Qu(i)'occist Judic — et dormoit entadiz ! —

De son poignart dedens son pavillon.

Absalon, quoy ? en fuyant le pendis.

Par mon conseil prens tout en gré, Villon !

 

Pour ce, Françoys, escoute que te dis :

Se riens peusse sans Dieu de Paradiz

A toy n'a autre ne demouroit haillon,

Car pour ung mal lors j'en feroÿe dix.

Par mon conseil prens tout en gré, Villon !

François Villon / Poésies diverses
Illustration : François Villon par Luigi Critone (éditions Delcourt)