Le voici gisant
Par domcorrieras, le lundi 16 novembre 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
Le voici gisant à présent sur sa vareuse cramée
Une brise immobile sur ses cheveux paisibles
Une brindille d'oubli sur son oreille gauche
Il a l'air d'un verger déserté des oiseaux
Il a l'air d'une chanson muselée dans le noir
D'une horloge d'ange brusquement arrêtée
À peine ses paupières ont-elles esquissé «salut camarades»
Que le doute s'est figé…
Le voilà gisant sur sa vareuse cramée
Encerclé de siècles noirs
Qui hurlent parmi les carcasses de chiens dans l'effrayant silence
Les heures redevenues colombes pétrifiées
Tendent l'oreille;
Pourtant le rire s'est consumé, pourtant la terre est devenue sourde
Pourtant personne n'a entendu le cri ultime
Le monde entier s'est dépeuplé au cri ultime.
Sous les cinq cèdres
Sans autres cierges
Il gît sur sa vareuse cramée;
Le casque vide, le sang boueux
Près de lui le bras à moitié coupé
Et entre les sourcils
Un petit puits amer, empreinte du destin
Un petit puits amer rouge et noir
Un puits où la mémoire frissonne !
Oh ne regardez pas, ne regardez pas
D'où sa vie s'e est allée. Ne dites pas comment
Comment s'est échappée la noire fumée du rêve.
Ainsi donc en un instant Ainsi donc
Une minute lâche la suivante
Et le soleil sempiternel lâche aussitôt le monde !
Chant héroïque et funèbre pour le sous-lieutenant
perdu en Albanie, 1945 (Extrait)
Odyssèas Elỳtis / Le soleil sait - Une anthologie vagabonde traduit du grec par Angélique Ionatos