« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS





Je ne songeais pas à Rose !

Rose au bois vint avec moi ;

Nous parlions de quelque chose,

Mais je ne sais plus de quoi.

 

J'étais froid comme les marbres ;

Je marchais à pas distraits ;

Je parlais des fleurs, des arbres ;

Son œil semblai dire : Après ?

 

La rosée offrait ses perles,

Le taillis ses parasols ;

J'allais ; j'écoutais les merles,

Et Rose les rossignols.

 

Moi, seize ans ; et l'air morose,

Elle vingt ; ses yeux brillaient.

Les rossignols chantaient Rose

Et les merles me sifflaient.

 

Rose, droite sur ses hanches,

Leva son beau bras tremblant

Pour prendre une mûre aux branches ;

Je ne vis pas son bras blanc.

 

Une eau courait, fraîche et creuse.

Sur les mousses de velours ;

Et la nature amoureuse

Dormait dans les grands bois sourds.

 

Rose défit sa chaussure,

Et mit, d'un air ingénu

Son petit pied dans l'eau pure ;

Je ne vis pas son pied nu.

 

Je ne savais que lui dire ;

Je la suivais dans le bois,

La voyant parfois sourire

Et soupirer quelquefois.

 

Je ne vis qu'elle était belle

Qu'en sortant des grands bois sourds.

— Soit; n'y pensons plus, dit-elle.

Depuis j'y pense toujours.

 

 

Paris, juin 1831

Victor Hugo / Les Contemplations