« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La dame des hauts fourneaux





Oui, je l’ai vue, moi

la dame des hauts fourneaux

la dame aux doigts gourds

de tant de fusion.

                            J’avais

chaussé d’épaisses bottes

pour pénétrer la nuit son domaine,

étendue du fleurissement des rouilles

Des martèlements la précédaient

réminiscences sonores d’amants

chauffés aux flammèches de sa chevelure ;

je sais que je n’ai pas été le premier

Le ciel s’est voilé à sa venue —

le froid m’a pénétré un instant

puis s’est changé en la fournaise

d’où elle est apparue :

                                    langueur

aux yeux charbonneux, suavité

de lèvres forgées, féminité

mâle de volonté doucereuse ;

le galbe de ses jambes nues

l’arrondi de ses hanches

disaient la volupté de la

conception des métaux ;

certaine souffrance pourtant

perçait au coin de ses yeux de braise

où se reflétait l’abandon cuisant

d’arcs électriques

Dame des hauts fourneaux, ai-je murmuré

(ou était-ce un hurlement ?)

j’ai parcouru le circuit de visite

de tes ateliers, j’ai chéri

tes gloires passées, j’ai soupiré

à ta déchéance, j’ai applaudi

à tes luttes.

                   Voudras-tu alors

m’embrasser de ta lave ?

Lorsque sa poitrine m’a touché

que j’ai senti ses aréoles

poindre contre mon corps, j’ai

fermé les yeux.

                         Interminables

minutes d’étreinte puissante

wagon empli de combustible

pelletées de passion tactile —

ce n’est que gorgé de laitier

que j’ai abandonné le plaisir

Yeux ouverts, j’ai contemplé

son absence devant les charognes de métal

mi-enterrées.

                      J’ai repris

mon chemin, frottant

sur mon avant-bras gauche

une cicatrice ténue

de pilosité grillée.

Florent Toniello / à retrouver sur son blog : https://accrocstich.es