« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Villa 31


 

 

J'ai cheminé une bonne quarantaine de kilomètres

aujourd'hui dans mon territoire d'élection sans limites

par rapport auquel la superficie de Paris capitale des gaules

ne correspondrait qu'à celle d'un moindre de ses quartiers (barrios)

J'ai fait une halte dans un bidonville (villa - prononcé vija en argentin))

peuplé de 600 000 ou de 700 000 habitants

sis au coeur de cette mégapole qui fait mes délices

Un lieu peuplé par tous les réprouvés plus ou moins illicites

amérindiens du Paraguay, de Bolivie, d'Equateur

ou d'exilés des provinces les plus pauvres d'Argentine

un lieu de sangs mêlés descendant des esclaves

et des crimes de l'Europe conquérante

un lieu criblé de ténèbres

mais aussi de bonté divine

un lieu de rebelles où la police se fait discrète

un lieu unique où prospèrent les gangs et les anges noirs

qui font aujourd'hui les beaux jours de nos démocraties

aux refrains libidineux des "droits de l'homme" made in USA.

Un lieu où ne se risquent guère les citoyens ordinaires

Buenos Aires je t'aime infiniment, tellement

en dépit du fascisme qui occulte maintenant ta danse et tes coutumes

Buenos Aires où j'ai trouvé mon invisibilité ma vertu

parce que ta densité est telle

qu'il faudrait tout un ciel étoilé pour te décrire

sauf que les astres ici ne s'inscrivent guère dans notre quotidien

à cause de ton hystérie électrique

et de cette brume maudite de pollution permanente

Seule la lune légendaire de l'avenue Callao t'illumine

à travers tes tangos immortels

et le fantôme du vieil aveugle chemine toujours

dans les rues de Palermo où pullulent

des tribus d'homosexuels, de petit bourgeois écologistes

Hola querido Jorge Luis como estas?

- "La vie est un grand hymne de jouissance" (Jorge Luis Borges).

André Chenet, 02 sept. 2020