« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

POUR VOTRE HÊTRE « SUPRÊME »


 

 

Très noble Hêtre, tout l'été",

Qui retint la splendeur esclave,

Voici ton supplice apprêté

Par un ciel froidement suave.

 

Cent fois rappelé des corbeaux,

L'hiver te flagelle et t'écorche ;

Au vent qui souffle des tombeaux

Les flammes tombent de ta torche !

 

Ton front, qui cachait l'infini,

N'est plus qu'une claire vigie,

À qui pèse même le nid

Où l'œil perdu se réfugie !

 

Tout l'hiver, le regard oiseux,

Trahi par la vitre bossue,

Sur la touffe où furent les œufs

Compose un songe sans issue !

 

Mais — ô Tristesse de saison,

Qui te consumes en toi-même,

Tu ne peux pas que ma raison

N'espère en le Hêtre Suprême !

 

Tant de Grace et de Vénusté !

Se peut-il que toute elle meure,

France, où le moindre nid resté

Balance une fière demeure ?

 

Mille oiseaux chanteront plus d'un

Souvenir d'atroces tangage,

Quand reverdira par Verdun

Sauvé, notre illustre Langage !

Paul Valéry / Pièces diverses de toute époque