« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Jeanne fait des ballots


 

 

AU JOUR LE JOUR

Jeanne fait des ballots — je crois que ballots prend deux l — comme si des ballots pouvaient voler —. Bon, passons. J'aide un peu, j'ai fourré mes bouquins dans les caisses, des romans (très peu), des plaquettes de poésie — la poésie — beaucoup de poètes (aussitôt nés, aussitôt morts), les mémoires de saint Simon (merveilleux Saint Simon) et le journal littéraire de Léautaud — un régal pour moi.

Donc, hop, en caisses ! Pour Angers, pour Ecoufflant. A Ecoufflant, il n'y a encore pas d'eau pour Jeanne. au moment où l'on venait de finir d'installer, à Revest-des-Brousses, un robinet dans la cuisine ! Ça, alors ! Hé, oui ! J'espère que tous mes amis viendront vite me voir, n'est-ce pas, tous, hommes et femmes, me voir au pays du vin blanc — que je n'aime pas du tout — au pays des fleurs, des artichauts, des choux-fleurs et des sabots de bois (que les paysans appellent des pilons). J'emporte, bien-sûr, mes cartons bourrés de dessins, et puis mes racines, et puis mes ferrures, enfin des centaines de petites choses qui ne valent rien et que j'aime tant à regarder, à caresser aussi.

Je quitte définitivement le Revest-des-Brousses et son Soleil, et sa lumière. Je ne marcherai plus sur le thym, je ne respirerai plus l'odeur de la sariette. On ne vera plus le facteur Mougin, à Revest-des-Brousses.

Il faut apprendre, n'est-ce pas, à quitter un petit peu quelque chose chaque jour pour être fin prêt au dernier moment. Parce qu'alors, on quitte tout. Je ne veux pas, quand je tirerai la dernière cartouche, je ne veux pas avoir trop de peine. Il faut apprendre à abandonner, oui, et pour toujours, ce qu'on a tant aimé.

Voilà ma philosophie. Je crois qu'elle est bonne.

Jules Mougin / La Grande Halourde / Au jour le jour (extrait)
Photo : Jules et Jeanne (1995)