« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CHRONIQUE DE LA GRANDE HALOURDE


 

 

Et pan, un grand coup de rame sur la gueule ! Si tu avais vu, BIGNE ! que veux-tu, j'avais ça sur le cœur.

Tu me connais, suis pas batailleur pour un sou. Faut vraiment me chercher, alors, là, on me trouve. Firmin c'est un costaud, d'accord, il fait son caïd, moi, ses cravates, je m'en fous. Il a beau être le chouchou du baron, c'est un con. Il tourne après Josette, elle voulait pas me le dire. Dimanche comme je la voyais toute drôle, je lui dis : « Qu'est-ce que tu as Josette. » — Moi, rien. — Mais si. — Rien, non, laisse. — Laisse quoi ? — Ah, ça passera ! — Mais quoi ? Pouf, la voilà sur mon épaule. Tu sais Josette, c'est une brave fille, alors voilà l'histoire.

Le Firmin il l'a coursée. elle, elle a filé, tu penses. mais l'autre avec ses grandes pattes. Bon. — Et alors ? que je lui dis, raconte nom de dieu ! — Eh bien, il a voulu me prendre de force ! — Hein, qu'est-ce que tu dis ? — Oh, je me suis débattue, tu sais, et crac des coups d'ongles et pan, des coups de pieds. Mais RIEN, pas ça, je te jure, j'ai crié au secours, il m'a lâchée.

Et voilà. Tu parles, je bouillais, j'ai dit à Josette : « je l'aurai » — et je l'ai eu.

Hier, oui, sur la Sarthe, le Firmin pêchait au lancer. Je le regarde faire, il me regarde faire. J'étais dans mon bateau. Je godille, je tourne sur place, je reviens, je me laisse aller dans le courant.

— Hep, là-bas, qu'il me fait. — Quoi, je lui fais. — Tu me gênes, qu'il me dit. — Quoi ? — Quoi ? — Approche, qu'il me dit. — Je viens, que je réponds, et je quitte le bateau une rame à la main. Voilà, il a fait tout juste un demi-pas, paf, je lui colle ma rame sur la gueule. Ça rigolait dans le coin. Il y avait bien trente pêcheurs à nous regarder. Quand il a eu ça bien appliqué j'ai repris la galiotte et, taupette !

Jules Mougin / La Grande Halourde