« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Che Commandant


 

 

Ce n'est pas parce que tu es tombé

que brille moins haut ta clarté.

Un cheval de feu

porte ta statue de guérillero

à travers vents et nuages de la Sierra.

Ce n'est pas parce que tu ne parles plus que tu es silence.

Ni parce qu'on te brûlera,

ni parce que sous terre on te camouflera,

ni parce qu'on te cachera

dans les cimetières, les bois, les hautes landes,

qu'on nous empêchera de te trouver,

Che Commandant,

ô compagnon !

 

De joie, l'Amérique du Nord

rit de toutes ses dents. Mais tout à coup

elle se tord

sur son lit de dollars. Son rire

se fige en masque

et voici que ton grand corps de métal

monte et se dissémine

comme une nuée de frelons dans les guérillas

et ton nom infini blessé par des soldats

illumine la nuit américaine

comme une étoile qui sans crier gare

s'abat au milieu d'une orgie.

Tu le savais, Che Guevara,

mais par modestie tu ne l'as pas dit,

pour ne pas parler de toi-même,

Che Commandant,

ô compagnon !

 

Tu te tiens partout, Chez l'Indien

fait de rêve et de cuivre. Et chez le Noir

hérissé en foule écumante

et chez l'ouvrier du pétrole et du salpêtre

et dans le terrible abandon

de la banane et dans la pampa immense du cuir

et dans le sucre et dans le sel et dans les caféiers,

toi, mobile statue avec ton sang, tel qu'ils t'ont abattu

vivant, tel qu'ils ne t'aimaient pas,

Che Commandant,

ô compagnon !

 

Cuba te sait par cœur. Visage

à barbe clairsemée. Ivoire

et olive en ta peau de jeune élu.

Voix énergique et qui sans imposer ordonne,

qui impose en compagne et ordonne en amie,

tendre et dure voix de chef camarade.

Nous te voyons chaque jour et tu es ministre,

chaque jour et tu es soldat, chaque jour et tu es

quelqu'un de simple et difficile

chaque jour.

De pur comme un enfant

ou comme un homme pur,

Che Commandant,

ô compagnon !

 

Tu passes en tenue de campagne, un uniforme délavé,

     déchiré, tout troué.

Celui de la forêt et qui fut autrefois

celui de la Sierra. Le torse à demi nu,

puissant pour le fusil et la parole,

pour l'ouragan de feu et pour la rose lente.

Point de repos.

 

                   Salut Che Guevara !

Ou mieux, de cette fosse américaine :

Attends-nous. Pour partir ensemble. Nous voulons

mourir pour vivre comme tu es mort,

pour vivre comme toi tu vis,

Che Commandant,

ô compagnon !

Nicolás Guillén / Le Chant de Cuba