Che Commandant
Par domcorrieras, le jeudi 15 octobre 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
Ce n'est pas parce que tu es tombé
que brille moins haut ta clarté.
Un cheval de feu
porte ta statue de guérillero
à travers vents et nuages de la Sierra.
Ce n'est pas parce que tu ne parles plus que tu es silence.
Ni parce qu'on te brûlera,
ni parce que sous terre on te camouflera,
ni parce qu'on te cachera
dans les cimetières, les bois, les hautes landes,
qu'on nous empêchera de te trouver,
Che Commandant,
ô compagnon !
De joie, l'Amérique du Nord
rit de toutes ses dents. Mais tout à coup
elle se tord
sur son lit de dollars. Son rire
se fige en masque
et voici que ton grand corps de métal
monte et se dissémine
comme une nuée de frelons dans les guérillas
et ton nom infini blessé par des soldats
illumine la nuit américaine
comme une étoile qui sans crier gare
s'abat au milieu d'une orgie.
Tu le savais, Che Guevara,
mais par modestie tu ne l'as pas dit,
pour ne pas parler de toi-même,
Che Commandant,
ô compagnon !
Tu te tiens partout, Chez l'Indien
fait de rêve et de cuivre. Et chez le Noir
hérissé en foule écumante
et chez l'ouvrier du pétrole et du salpêtre
et dans le terrible abandon
de la banane et dans la pampa immense du cuir
et dans le sucre et dans le sel et dans les caféiers,
toi, mobile statue avec ton sang, tel qu'ils t'ont abattu
vivant, tel qu'ils ne t'aimaient pas,
Che Commandant,
ô compagnon !
Cuba te sait par cœur. Visage
à barbe clairsemée. Ivoire
et olive en ta peau de jeune élu.
Voix énergique et qui sans imposer ordonne,
qui impose en compagne et ordonne en amie,
tendre et dure voix de chef camarade.
Nous te voyons chaque jour et tu es ministre,
chaque jour et tu es soldat, chaque jour et tu es
quelqu'un de simple et difficile
chaque jour.
De pur comme un enfant
ou comme un homme pur,
Che Commandant,
ô compagnon !
Tu passes en tenue de campagne, un uniforme délavé,
déchiré, tout troué.
Celui de la forêt et qui fut autrefois
celui de la Sierra. Le torse à demi nu,
puissant pour le fusil et la parole,
pour l'ouragan de feu et pour la rose lente.
Point de repos.
Salut Che Guevara !
Ou mieux, de cette fosse américaine :
Attends-nous. Pour partir ensemble. Nous voulons
mourir pour vivre comme tu es mort,
pour vivre comme toi tu vis,
Che Commandant,
ô compagnon !
Nicolás Guillén / Le Chant de Cuba