PAYSAGE
Par domcorrieras, le dimanche 13 septembre 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
Juin 1920
Les étoiles éteintes
Emplissent de cendre la rivière
Froide et verte.
La source n'a pas de tresse.
Déjà les nids ont brulé,
Cachés.
Les grenouilles font du filet d'eau
Une syrinx enchantée,
Désaccordée.
La lune sort de la montagne
Avec sa face débonnaire
De grosse mère.
Une étoile lui fait la nique
De sa logette de saphir
Enfantine.
La lumière rose pâle
Rend touchant l'horizon
Des monts.
Je note que le laurier en a
Assez d'être poétique
Et prophétique.
Comme nous l'avons toujours vu,
L'eau s'écoule en dormant
Et souriant.
Tout pleure, par habitude.
La campagne se lamente sans
S'en rendre compte.
Moi, pour rester dans le ton,
Je dis, poseur :
« Mon pauvre cœur ! »
mais une lourde tristesse
Teint mes lèvres souillées
De péchés.
Au-delà du paysage
Je vois en moi un trou profond
Comme la tombe.
Une chauve-souris m'apprend
Que le soleil se cache dolent
À l'occident.
Pater Noster pour mon amour !
(Plainte des peupliers
Et des futaies.)
Dans le charbon du soir
Je vois mes yeux distants
Tels des milans.
Et je dépeigne mon âme morte
Sous l'araignée
De regards oubliés.
Voici la nuit et les étoiles
Qui transpercent la rivière
Froide et verte.
Federico García Lorca / Livre de poèmes