« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PAYSAGE


 

 

Juin 1920

 

 

Les étoiles éteintes

Emplissent de cendre la rivière

Froide et verte.

 

La source n'a pas de tresse.

Déjà les nids ont brulé,

Cachés.

 

Les grenouilles font du filet d'eau

Une syrinx enchantée,

Désaccordée.

 

La lune sort de la montagne

Avec sa face débonnaire

De grosse mère.

 

Une étoile lui fait la nique

De sa logette de saphir

Enfantine.

 

La lumière rose pâle

Rend touchant l'horizon

Des monts.

 

Je note que le laurier en a

Assez d'être poétique

Et prophétique.

 

Comme nous l'avons toujours vu,

L'eau s'écoule en dormant

Et souriant.

 

Tout pleure, par habitude.

La campagne se lamente sans

S'en rendre compte.

 

Moi, pour rester dans le ton,

Je dis, poseur :

« Mon pauvre cœur ! »

 

mais une lourde tristesse

Teint mes lèvres souillées

De péchés.

 

Au-delà du paysage

Je vois en moi un trou profond

Comme la tombe.

 

Une chauve-souris m'apprend

Que le soleil se cache dolent

À l'occident.

 

Pater Noster pour mon amour !

(Plainte des peupliers

Et des futaies.)

 

Dans le charbon du soir

Je vois mes yeux distants

Tels des milans.

 

Et je dépeigne mon âme morte

Sous l'araignée

De regards oubliés.

 

Voici la nuit et les étoiles

Qui transpercent la rivière

Froide et verte.

Federico García Lorca / Livre de poèmes