« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PENSAR, DURAR (fragment)


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Je vous atteste, ô vents du soir et de l'aurore,

Etoiles de la nuit, je vous atteste encore,

Par l'austère pensée à toute heure asservi,

Que de fois j'ai tenté, que de fois j'ai gravi,

Seul, cherchant dans l'espace un point qui me réponde,

Ces hauts lieux d'où l'on voit la figure du monde !

Le glacier sur l'abîme ou le cap sur les mers !

Que de fois j'ai songé sur les sommets déserts,

Tandis que fleuves, champs, forêts, cités, ruines,

Gisaient derrière moi dans les plis des collines,

Que tous les monts fumaient comme des encensoirs,

Et qu'au loin l'océan, répandant ses flots noirs,

Sculptant des fiers écueils la haute architecture,

Mêlait son bruit sauvage à l'immense nature !

Et je disais aux flots : Flots qui grondez toujours !

Je disais aux donjons, croulant avec leurs tours :

Tours où vit le passé ! donjons que les années

Mordent incessamment de leurs dents acharnées !

Je disais à la nuit : Nuit pleine de soleils !

Je disais aux torrents, aux fleurs, aux fruits vermeils,

A ces formes sans nom que la mort décompose,

Aux monts, aux champs, aux bois : Savez-vous quelque chose ?

 

Septembre 1835

Victor Hugo / Les voix intérieures