« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

A ANNA DE NOAILLES


 

 

Un jour tu vins me voir dans ce pays sauvage,

Et je devinai vite alors que c'était toi,

Car tes yeux pleins de nuit ravageaient ton visage

Pâle comme la lune, et versaient leur émoi.

 

Près des mêmes rosiers qui te tendaient leurs lèvres

S'étend le grand silence où tu me laisses seul.

Ce soir, le rossignol qui brûlait de tes fièvres

Mourra dans cette sphère opaque du tilleul.

 

Et moi, loin des amis pressés à ton cortège,

Moi, jaloux du printemps qu'ils jetteront sur toi,

Je ne pourrai t'offrir que ces flocons de neige

Où passe un chant funèbre entonné par ma voix.

 

Mais bientôt je prendrai, comme on fait au village

Alors qu'on mène un deuil, lourde comme du plomb,

La croix dont le sommet parfois touche au feuillage,

La croix qui t'étonnait, ô fille d'Apollon !

 

Et je la porterai, troussé dans cette cape

Dont ta bouche fermée a parlé si souvent,

Et que soulèvera l'orage qui s'échappe

D'un cœur qu'ont balayé l'injustice et le vent.

 

Et je la planterai, ma sœur, ma bien-aimée,

Sur le calvaire étroit dominant Hasparren,

Afin que par-delà les monts et la vallée

Sa douce ombre s'étende et te rejoigne au loin.

 

 

1er mai 1933.

Francis Jammes / De tout temps à jamais (1935)