« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES RÉVOLUTIONS


 

 

I

 

Quand l'arabe altéré, dont le puits n'a plus d'onde,

A plié le matin sa tente vagabonde

Et suspendu la source aux flancs de ses chameaux,

Il salue en partant la citerne tarie,

Et, sans se retourner, va chercher la patrie

                   Où le désert cache ses eaux.

 

Que lui fait qu'au couchant le vent de feu se lève

Et, comme un océan qui laboure la grève,

Comble derrière lui l'ornière de ses pas,

Suspende la montagne où courait la vallée,

Ou sème en flots durcis la dune amoncelée?

                   Il marche, et ne repasse pas.

 

Mais vous, peuples assis de l'Occident stupide,

Hommes pétrifiés dans votre orgueil timide,

Partout où le hasard sème vos tourbillons

Vous germez comme un gland sur vos sombres collines,

Vous poussez dans le roc vos stériles racines,

                   Vous végétez sur vos sillons!

 

Vous taillez le granit, vous entassez les briques,

Vous fondez tours, trônes ou républiques :

Vous appelez le temps, qui ne répond qu'à Dieu;

Et, comme si des jours ce Dieu vous eût fait maître,

Vous dites à la race humaine encore à naître :

                   « Vis, meurs, immuable en ce lieu!

 

« Recrépis le vieux mur écroulé sur ta race,

Garde que de tes pieds l'empreinte ne s'efface,

Passe à d'autres le joug que d'autres t'on jeté!

Sitôt qu'un passé mort te retire son ombre,

Dis que le doigt de Dieu se sèche, et que le nombre

                   Des jours, des soleils, est compté! »

 

En vain la mort vous suit et décime sa proie;

En vain le Temps, qui rit de vos Babels, les broie,

Sous son pas éternel insectes endormis;

En vain ce laboureur irrité les renverse,

Ou, secouant le pied, les sème et les disperse

                   Comme des palais de fourmis;

 

Vous les rebâtissez toujours, toujours de même!

Toujours dans votre esprit vous lancez anathème

À qui les touchera dans la postérité;

Et toujours en traçant ces précaires demeures,

Hommes aux mains de neige et qui fondez aux heures,

                   Vous parlez d'immortalité!

 

Et qu'un siècle chancelle ou que qu'une pierre tombe,

Que Socrate vous jette un secret de sa tombe,

Que le Christ lègue au monde un ciel dans son adieu :

Vous vengez par le fer le mensonge qui règne,

Et chaque vérité nouvelle ici-bas saigne

                   Du sang d'un prophète ou d'un Dieu!

 

De vos yeux assoupis vous aimez les écailles :

Semblable au guerrier armé pour les batailles

Mais qui dort enivré de ses songes épais,

Si quelque voix éclate à votre oreille,

Vous frappez, vous tuez celui qui vous réveille,

                   Car vous voulez dormir en paix!

 

 

… / …

Alphonse de Lamartine / Odes politiques - III LES REVOLUTIONS (extrait)