IMAGES D'UN SOU
Par domcorrieras, le lundi 6 juillet 2020 - Poèmes & chansons - lien permanent
De toutes les douleurs douces,
Je compose mes magies !
Paul, les paupières rougies,
Erre seul aux Pamplemousses,
La folle par amour chante
Une ariette touchante,
C'est la mère qui s'alarme
De sa fille fiancée,
C'est l'épouse délaissée
Qui prend un sévère charme
À s'exagérer l'attente,
Et demeure palpitante,
C'est l'amitié qu'on néglige
Et qui se croit méconnue.
C'est toute angoisse ingénue,
C'est tout bonheur qui s'afflige,
L'enfant qui s'éveille et pleure,
Le prisonnier qui voit l'heure,
La plainte des jeunes filles,
C'est l'appel des Inésilles
Que gardent dans des tourelles
De bons vieux oncles avares
À tous sonneurs de guitares,
Et Malek-Adel soupire
Sa tendresse à Geneviève
De Brabant qui fait ce rêve
D'exercer un doux empire,
Dont elle-même se pâme,
Sur la veuve de Pyrame
Tout exprès ressuscitée,
Et la forêt des Ardennes
Sent circuler dans ses veines
La flamme persécutée
De ces princesses errantes
Sous les branches murmurantes.
Et madame Malbrouk monte
À son tour pour mieux entendre
La viole et la voix tendre
De ce cher trompeur de comte
Ory qui revient d'Espagne
Sans qu'un doublon l'accompagne.
Mais il s'est couvert de gloire
Aux gorges des Pyrénées,
Et combien d'infortunées
L'une jaune et l'autre noire
Ne fit-il pas, à tous risques,
Là-bas parmi les Morisques !…
Toute histoire qui se mouille
De délicieuses larmes,
(Fût-ce à travers des chocs d'armes)
Aussitôt chez moi s'embrouille,
Se mêle à d'autres encore,
Finalement s'évapore
En capricieuses nues,
Laissant, à travers des filtres
Puissants, talismans et philtres
Au fin fond de mes cornues
Au feu de l'amour rougies…
Accourez à mes magies !
C'est très beau. Venez, d'aucunes
Et d'aucuns. Entrez, bagasse !
Cadet-Roussel est paillasse
Et vous dira vos fortunes.
C'est Crédit qui tient la caisse.
Allons, vite ! qu'on se presse !! —
Paul Verlaine / Cellulairement