« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

IMAGES D'UN SOU


 

 

De toutes les douleurs douces,

Je compose mes magies !

Paul, les paupières rougies,

Erre seul aux Pamplemousses,

La folle par amour chante

Une ariette touchante,

C'est la mère qui s'alarme

De sa fille fiancée,

C'est l'épouse délaissée

Qui prend un sévère charme

À s'exagérer l'attente,

Et demeure palpitante,

C'est l'amitié qu'on néglige

Et qui se croit méconnue.

C'est toute angoisse ingénue,

C'est tout bonheur qui s'afflige,

L'enfant qui s'éveille et pleure,

Le prisonnier qui voit l'heure,

La plainte des jeunes filles,

C'est l'appel des Inésilles

Que gardent dans des tourelles

De bons vieux oncles avares

À tous sonneurs de guitares,

Et Malek-Adel soupire

Sa tendresse à Geneviève

De Brabant qui fait ce rêve

D'exercer un doux empire,

Dont elle-même se pâme,

Sur la veuve de Pyrame

Tout exprès ressuscitée,

Et la forêt des Ardennes

Sent circuler dans ses veines

La flamme persécutée

De ces princesses errantes

Sous les branches murmurantes.

Et madame Malbrouk monte

À son tour pour mieux entendre

La viole et la voix tendre

De ce cher trompeur de comte

Ory qui revient d'Espagne

Sans qu'un doublon l'accompagne.

Mais il s'est couvert de gloire

Aux gorges des Pyrénées,

Et combien d'infortunées

L'une jaune et l'autre noire

Ne fit-il pas, à tous risques,

Là-bas parmi les Morisques !…

Toute histoire qui se mouille

De délicieuses larmes,

(Fût-ce à travers des chocs d'armes)

Aussitôt chez moi s'embrouille,

Se mêle à d'autres encore,

Finalement s'évapore

En capricieuses nues,

Laissant, à travers des filtres

Puissants, talismans et philtres

Au fin fond de mes cornues

Au feu de l'amour rougies…

Accourez à mes magies !

C'est très beau. Venez, d'aucunes

Et d'aucuns. Entrez, bagasse !

Cadet-Roussel est paillasse

Et vous dira vos fortunes.

C'est Crédit qui tient la caisse.

Allons, vite ! qu'on se presse !! —

Paul Verlaine / Cellulairement