« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Cimetières


 

 

J'ALLAIS RAMASSER DES FÉMURS

Dans les fossés des cimetières

J'en faisais des tas

Des amoncellements

Des fagots

Une sorte de bûcher

Puis je récoltais

De la paille

Du lichen sec

Le duvet d'un oiseau tombé

A cette étoupe je mettais le feu

C'était le plus bel incendie

Donné à voir

La promesse d'un soleil noir de cendres

Qui s'efforcerait de luire

Rouge et poignant d'impuissance

Derrière le rideau de fumée

Il me fallait cacher le jour aux quelques humains

Qui erraient encore sur cette maudite terre

La cendre se dépose

S'assèche la rosée

Le sol n'est plus qu'une tourbe noire

S'improvisent en creux les traces des pieds

L'eau stagne

Des chiens squelettiques viennent y boire

Et aucune graine n'y germe

Et peu à peu au fur et à mesure

Disparition des hommes et des femmes

Le sol se vitrifie

Des marches haletantes

Montent la poudre des stupeurs

La poussière des étonnements

(Se savoir si sauvage)

La fumée pique les yeux

Torture la gorge

Les bouches désormais sans salive

Le livre dépiauté

Au pied du trône

Rongé par les souris

La marche dure

Aveugle

Parmi monuments en ruine

Parmi arceaux d'abbaye

Qui connurent gloire et majesté

Comme un chef d’œuvre

Se dressent les ombres

Les pans anguleux des forteresses que les brumes adoucissent

Trempe son pinceau le peintre

Sa plume l'écrivain

Dans l'encre noire des existences

A jamais renfermées sur elles-mêmes

Les fenêtres béantes

Ouvertes sur le vide

Livre ouvert au hasard

Coup de dé

Dans la splendeur de l'hiver

Le brouillard projette une boutique d'antiquaires

S'y vendent d'antiques squelettes

La mort à la criée

C'est une halte reposante

Sur le chemin

Le bord du précipice

Le moment des lèvres closes qui s'entrouvrent

Le triomphe de la légèreté

Les hommes libérés de la loi de l'apesanteur

Les âmes s'échappent vers les cieux

Ascension des joies en machines de Léonard

(Ou parapluie de Mary Poppins)

Les parachutes ascensionnels

Depuis les thermiques du bonheur

Tout en bas

Le gris des ardoises

En échiquiers multicolores

Une libération

Une explosion

Un éclair furtif de contentement

Jusque dans le regard des corbeaux

S'effondrent les murailles

L'écho trompette de Jéricho

Vibre dans le ciel

Souffle tout sur son passage

C'est une élévation

Une assomption

Les hommes prennent de la hauteur, de la grandeur; ils prennent, les hommes, leur envol.

Pascal Giovannetti