« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Or voici que se découvrent d’autres voix


 

 

Or voici que se découvrent d’autres voix par d’autres enflammées

Les cendres d’une peur qui fera récit

Voix chevillées au corps

Existe-t-il droit de s’engager en leurs sens interdits ?

Depuis d’autres éteintes et oubliées

Elles appartiennent au trébuchement

Premier croche-patte de l’être humain

Qui désigna un arbre

Index au bout de son bras

Le vrai de ce qu’il veut montrer

Quand la parole lui manque encore

Ceci est un arbre

Et cet arbre va exister parce qu’il n’est pas en mesure de lui parler

De dire qui il est

Dans la violence et l’impuissance du geste affaibli des branches

Il ne porte nom

Sinon ses fruits

Ceci est un arbre

Ainsi naquirent paroles

D’un geste

D’un silence interrompu

Au bout de l’index un râle

Ainsi fut créée la bibliothèque première

Mots des animaux en leur langage

Répétés dans la vibration de l’index

Ceci est un arbre

Ceci est l’arbre où nous nous sommes protégés

Des dents du tigre

Et l’attente a vibré de ce qu’il adviendrait

A chaque coup de dents dans le tronc

Un mot vibrement désormais et libre de ses horizons humains

À chaque attaque incisive

Une phrase s’inscrit dans le peu des écritures

À chaque accrochage meurtrier un paragraphe

À chaque morsure une ponctuation

À chaque attaque des griffes une poésie s’écrit

À chaque grognement de rage impuissante un chapitre

Dans le peut-être d’un livre

Depuis le silence des silex

Broiement des écorces d’un bouleau

Nous en ferons une pulpe une encre

À raconter histoires populaires

Romans de gare

D’où partent des trains que nous ne prendrons pas ou que nous avons ratés

Depuis un quai oublié

Trains pris dans le froid des discours

Crissement des roues sur les rails

Acier contre acier

Le wagon s’arrête pour un autre ailleurs

Une Sibérie si proche

Dans le bruit noir et blanc où nous marchions pieds-nus

Bruissement en vapeur blanche

Des rails et de la nuit

Montent les étincelles

Le tigre veille au pied de l’arbre

Pascal Giovannetti