LE BASTIDON
Par domcorrieras, le lundi 27 avril 2020 - Proses & autres textes - lien permanent
Mon "bastidon" est un instrument campagnard qui me sert à jouer de l'air, du soleil et des vents et ainsi à utiliser les hauts et les bas des quatre saisons, soit en variant. les lumières, soit en dosant le frais et le chaud, le sec et l'humide, selon mes besoins, eux aussi variables, mais d'ordinaire modérés. Il est donc, ce vieux bastidon, d'un usage assez délicat, vu que, si dehors pour un rien le ciel, la lumière varient, dedans, c'est moi qui change de désirs. Il est prudent d'y équilibrer ces deux forces, la naturelle qui a ses caprices et l'humaine ses altérations imprévisibles, L'irruption de trop de lumière y rend le séjour presque insupportable, et y enclore un excès d'ombre ne vaut rien pour la vie familière des hôtes. La mienne s'y attriste.
Mais par bonheur tout y enseigne la mesure. La pente du toit y est calculée pour que s'y écoule une pluie rapide. La porte et la fenêtre y ont de la sagesse. On les a découpées selon les besoins les plus simples, la nécessité de passer rarement le seuil, d'opposer à la canicule une ouverture étroite, de donner peu de prise au vent qui est, chez nous d'une étrange et mystérieuse sauvagerie. Toutefois si cet être facilement clos - le bastidon aimant la pénombre et la paix - s'ouvre vers le soir et respire, ce qu'on voit de là, c'est l'espace imense, à l'Est, les nuages, les Alpes, à l'Ouest, bleues et dentelées les Alpilles.
Ainsi, à ces biens très modestes, tant du corps que de l'âme, s'unissent alors d'un seul coup les grandeurs colorées de l'étendue.
La nuit, il n'est pas de lieu où l'on ait sur soi plus puissamment les astres.On éprouve le sentiment de dépendre de leur présence. Une lampe qu'on y allume y est comme un reflet de la vie planétaire, et, par les nuits d'été, quand on veille longtemps, on y entend craquer discrètement, dans l'ombre, l écorce de la terre.
Henri BOSCO / Les Cahiers de l'Amitié / ''Diaire" - 19 Décembre 1958