« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

AJACCIO


 

 

Lorsque doublant le cap, au bout de ma jumelle,

Je vois poindre de loin ta vieille citadelle,

Doucement remué, je vois devant mes yeux

Voltiger un essaim de souvenirs joyeux.

 

Mon Dieu, comme c'est loin ! je revois ma chambrette,

Les-modestes goûters et la lampe discrète

Qui le soir éclairait mes veilles d'écolier,

Et le  jour délirant où je fus bachelier.

 

Et je revois aussi rêveur mon vieux collège !

Parfois, l'esprit distrait, je regardais la neige

Sur les sommets lointains, ou sur les flots moirés

Les sveltes paquebots dans la rade amarrés.

 

C'était le temps heureux des rires et des rêves,

Des folâtres plaisirs, des courses sur les grèves :

Tout nus en plein hiver, mais vigoureux et sains,

Nous plongions à mi-corps pour pêcher des oursins.

 

Dans tes jardins si verts qu'égayaient les mésanges.

Que de fois maraudeur j'ai  pillé tes oranges !

On narguait le gardien qui toujours en retard

Courait, s’il était là quelquefois par hasard.

 

Pourtant tout n’était pas doré dans notre enfance.

Modestes villageois, nous avions peu d'aisance !

Mais on était vaillant ; et pour nous soutenir,

A nos jeune espoirs souriait l’avenir.

 

Mais si rude parfois qu’ait été notre vie,

Jamais nos braves cœurs n'ont ressenti l'envie.

Nous regardions, discrets en notre pauvreté,

Sans un soupir amer, l’enfant riche et gâté.

 

Chères mamans ! souvent, pour nous donner courage,

Le panier de douceurs arrivait du village ;

Emus et radieux nous croquions les gâteaux :

C’étaient des rires fous et les jours les plus beaux.

 

Quand  j'évoque en mon cœur ces heures de détresse,

Qu’illuminaient l’espoir et la verte jeunesse ;

Maintenant que je suis aisé, mais presque vieux,

Je regrette ces jours innocents et joyeux !

César Drimaraki-Servò / Algues et Fleurs (POÈMES CORSES)