« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ce peu de choses


 

 

ce peu de choses

ramenées du Leclerc

dans mon sac à dos entassées

cubi de rouge Côtes de Bourg

huile d’olive d’Italie bouteille en verre    

vertes pommes poires Belgique Portugal

clémentines frugal panier de balsa

des vergers de Casamozza

shampooing fluo bleu papier hygiénique

oignons radis anchois endives blanches

boudin noir andouillettes sous plastique

lames à raser moutarde pot de câpres

quart de Munster fenouil céleri patates

penne rigate chou-fleur confiture de myrtilles

miel des Alpes beurre du Poitou

lourdes images entêtantes au bord du ruisseau

mon vélo qui cahote et crachote la pluie

 

ce peu de choses

remontées au logis

table rouge encombrée frigo MacIntosh

nouvelles de loin du monde d’à côté

vaisselle à faire torchon boîte à pain

en vrac les bouquins poèmes de Norge

paperasse assurance toubib rendez-vous

prise de sang machine à laver

ampoule à changer bottes à cirer

aspirateur éponge douleurs arthrose

café à moudre Shostakovitch à la radio

tabac en pot machine à tuber

balcon à fumer crachin salut du voisin

soif goût amer pastilles de réglisse

téléphone à charger chambre à coucher

rosaces de lumière au mur sur le plancher

vitrail de mes pensées et déraille le jour

 

ce peu de choses

obscure barque à la dérive

fouillis de pierres chemin entre les blés

faune craintif fuyant l’humanité

halo solaire intermittente apparition

phare noyé balourd dans le roulis   

plis replis chairs tourneboulées

rouges broches escarmouches bascules

touche-à-tout bouches chants des sirènes

flots noirs dans l’œil du Cyclope

lampe de Chine serpent papier volant

carrosse citrouille chevaux voyage d’hiver

cyclone navire chavire charivari

martinets feux follets pleins lunes opales

palpitent chaloupes aérolites luminescents

réverbères éperdus troubles lumignons

ternissent ma vue et s’éternise ma vie

 

ce peu de choses     

cantonnées à l’ombre du tiroir

vieil étui compas doré de grand-père

mèche blonde de mes primes saisons

jeu de cartouches Waterman calcifiées

clous orphelins clé de contact Yamaha 650 XS

billets de concert Etta James Muddy Waters

petite fleur maladroite peinte sur éclat de lauze

brûle-gueule parfum d’herbe à s’époumoner

boussole compte-fils galet ciré montre brisée

coquillage terni d’Aiacciu œil de Sainte-Lucie

grains de sable de mica plage filles mer palmiers

soleil réminiscences peaux chaudes cuivrées salées

rires rimes pastis amis perdus emprisonnés assassinés

ogive balle de cuivre fer à cheval ruban noir

autocollants Yacco l’huile des records du monde

ronde de corps-à-corps et tenir encore la corde    

 

ce peu de choses

à rendre au vent aux nuages

aux petits-gris valérianes silènes

au ruisseau galopant jusqu’au Leclerc

liste de courses ballote mon sac-à-dos

jeu de billes frêles images s’entrechoquent

chahutent ma casquette et chuchoteront longtemps…

Dom Corrieras -Maizières-lès-Metz, février 2020