« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

C’est un étrange été


 

 

C’est un étrange été, tonnerre sans orages

et averses soudaines tandis que les rayons

percent, inventé dirait-on par un mythomane

 

qui aspire de toutes ses fibres à un miracle

plus grand que ce qu’offre en général

le bulletin météorologique, par exemple

 

un zéphyr inhabituel caressant la mer,

semblable dans son obéissance à du cristal,

alors que je t’accompagnais vers l’horizon.

 

C’est un étrange été qui suggère la présence

d’une âme de par la nuit et la cime des arbres,

sorte de hibou, mi-gloutonnerie, mi-plainte

 

quant aux conditions de l’existence : à savoir

que les fils d’Adam, composés de chimie et de souvenirs,

finissent par se perdre dans le crépuscule —

 

inattendu, plus éphémère que le son de la cloche

qui se détache sur une lune géante, il se hâte

sus aux souris : protéine au cri strident, petit os,

 

peau, poils. Eh, toi, Darwin ! De l’innocence

dans notre malveillance ? Ce serait oublier

que les preuves épuisent la vérité.

 

c’est un étrange été aux représentations

de joie romantiques ; le soleil palpe

ma peau, le vent fourrage dans mes cheveux ;

 

 

à l’ultime lueur, j’improvise aujourd’hui

un poème maladroit (genre : « Chérie, l’été

est court, on est déjà en août, vite, je t’en prie

 

embrasse-moi ») ; pendant que je bégaie ça, tu me prêtes

ta langue et, doux Jésus, déboutonnes ton chemisier ;

muet, emprunté, je précipite mon bonheur dans un abîme.

Benno Barnard / Le service de mariage