« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA SAINTE ENFANCE


 

 

OU

SUPPRESSION DE LA NAISSANCE

 

 

Je parlerai du noir

Poupée de porcelaine

Enfouie dans l’humus de la forêt oublieuse et traîtresse

Où dansent les squelettes en robes d’araignées

Des feuilles mortes en dentelles

Je parlerai du noir

Au souffle des cavernes

Dans la champignonnière aux yeux phosphorescents

Je parlerai du noir aux escargots noués

Je parlerai du noir

À la pluie à la suie

Au cercle d’eau de lune étale au fond du puits

Aux tonneaux qui roulaient dans la cave à minuit

Quand la dame blanche gémit

Je parlerai du noir

À l’envers des miroirs

Je parlerai du noir

De l’immortel tourment

Du plus vieux désespoir

Devant le monde absent

Alors qu’il fera blanc

Je parlerai de voir

Toujours en m’endormant

Cette femme endormie

Sur la terre en pleurant

Admirable tête de morte

Voilée de noir d’enfance assassinée

Un mauvais regard bat des ailes

Près du lit vide ensanglanté

Il faudra pendre l’accouchée

Pour le crime ancien des limbes

Le mort-né retourné vers son lieu d’origine

Ne croira pas au jour menti par le soleil

L’air noir n’a pas souillé le seuil de sa poitrine

Sans que palpite sa narine

Sans que son œil s’entr’ouvre à l’atroce réveil

La vie reniée avant d’être

Il s’en retourne au lieu de naître

Par le fil qui relie le nombril au zénith

Aux sources de cristal des merveilles du vide

Roger Gilbert-Lecomte / Le miroir noir
Photo : Roger Gilbert-Lecomte, avec ses "phrères simplistes". [Collection Mediatheque Elisabeth et Roger Vailland, Bourg en Bresse - Marc Garanger/Aurimages/AFP]